Nous apprenons chaque jour, pourtant, savons-nous réellement ce qu’est apprendre ? Beaucoup d’apprenants (élèves, étudiants, adultes en formation) affirment de bonne foi avoir appris, sans pour autant rencontrer de réussite dans leurs apprentissages. Comment cela est-il possible ? Comment expliquer que l’on échoue à un exercice qui porte sur la leçon que l’on a apprise ?
Après ce cours introductif, vous saurez :
- définir les objectifs d’un apprentissage ;
- effectuer la distinction essentielle entre informer et connaître ;
- expliquer pourquoi malgré le fait d’apprendre vos cours et réussir correctement les exercices à la maison, vous échouez à certains exercices en classe.
1. Ce que je sais de l’acte d’apprendre
Avant de poursuivre la lecture de ce cours, je vous invite à prendre le temps de répondre aux questions suivantes le plus sincèrement possible. Il ne s’agit pas de reprendre les propos que vous avez entendus ici ou là, mais d’énoncer ceux dont vous êtes convaincus. Laissons le conformisme de côté. Les questions ne sont pas anecdotiques mais essentielles parce que d’une part, elles vous permettront d’en savoir plus sur vous ou les apprenants dont vous avez la charg; d’autre part, elles vont sans doute révéler un certain nombre d’idées fausses sur l’acte d’apprendre. Il devrait s’ensuivre un changement progressif dans votre manière d’appréhender les apprentissages et vous conduire vers plus de performance. Vous serez davantage acteur de votre apprentissage.
D’une manière générale, faire le bilan de ce que l’on sait – ou plus vraisemblablement de ce que l’on croit savoir – avant d’apprendre une leçon permet de mieux l’intégrer, sans préjuger de tous les autres avantages possibles.
- Qu’est-ce qu’apprendre ?
- Enoncez tout ce que vous savez sur l’acte d’apprendre. Des banalités, des généralités, peu importe. Essayez de relier cette question à des cas concrets pour valider ou invalider vos pensées, avant d’écrire.
- A quoi cela sert-il ? Quel objectif suit-on lorsqu’on apprend ? Quel est l’intérêt de ce qu’on apprend ?
- Identifiez les raisons qui vous poussent à apprendre. N’hésitez pas à les détailler, discipline, par discipline.
- Comment apprenez-vous ?
- Commencez par penser à différents cas concrets où vous étiez en situation d’apprendre et notez-les. Ne limitez pas vos pensées aux savoirs scolaires, mais explorez l’apprentissage d’un sport, d’une recette de cuisine, etc. Empruntez vos cas à des situations diverses. Pour que les souvenirs viennent plus facilement, essayez de penser au contexte : c’était le matin, il faisait beau, vous étiez dans quelle pièce (etc.) ? Une fois que les situations (de 5 à 10 environ, plus si vous voulez) ont été réunies, racontez ce que vous avez fait pour apprendre, dans chacune d’entre elles. Ne justifiez rien, ne trouvez pas de relation de cause à effet, racontez seulement. Puis, faites une pause de 15 minutes. Relisez alors votre texte et détaillez, pour chaque situation, ce que vous avez fait. Chaque détail est important – numérotez les -, même si cela vous paraît anecdotique. Ne jugez pas, n’expliquez pas, racontez.
- Qu’est-ce qui vous aide à apprendre ?
- Là encore, sans juger ni expliquer, racontez, pour chaque situation d’apprentissage tout ce qui est de nature à vous aider.
- Qu’est-ce qui vous empêche d’apprendre ?
- Remarques identiques à la question précédente.
- Quelles sont les disciplines que vous apprenez le plus facilement ? Pourquoi ?
- Listez toutes les disciplines et expliquez, justifiez vos réponses. Celles-ci doivent être personnelles, ne reprenez pas les remarques que d’autres personnes ont pu porter sur votre travail. N’exprimez que ce que vous pensez réellement de vous-même. Dans un second temps, prenez en compte les remarques externes. Si aucune ne vous vient à l’esprit, vous pouvez poser la question à votre entourage : « D’après toi, qu’est-ce que j’apprends le plus facilement ? Pourquoi ? ». Ensuite, comparez ce que vous pensez de vous à ce que l’on pense de vous.
- Quelles sont les disciplines que vous apprenez le plus difficilement ? Pourquoi ?
- Répondre à ces questions sur le modèle du travail effectué pour la question précédente.
- Quelles sont les différences entre l’information, la connaissance et le savoir ?
- Ne cherchez les différences que si vous estimez la question pertinente. Ne notez rien s’il n’y a pour vous aucune différence.
Une fois que vous aurez répondu aux questions précédentes, vous pourrez poursuivre la lecture du cours. Conservez vos réponses, elles vous seront utiles pour la suite.
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2. Qu’est-ce qu’apprendre ?
Apprendre, c’est altérer la réponse à un stimulus environnemental, soit modifier son comportement ou ses pensées. Les personnes qui n’ont pas modifié leur comportement ou leurs pensées face à une information nouvelle, par exemple une manière de compter plus efficace, n’ont pas appris. Cette information ne peut se transformer en connaissance.
Les habitudes et les préjugés (que l’on appelle aussi conceptions) forment une barrière solide qui empêche d’apprendre. Sur le plan neuropédagogique, on explique cela par un réseau de communications privilégiées entre clusters de neurones. Effectivement, des groupes de neurones ont pris l’habitude de communiquer entre eux, ils répondent davantage aux stimuli, l’information circule plus rapidement.
Pour approfondir la question, je vous invite à lire le cours : Apprendre, une affaire de connexions et de répétitions
3. A quoi sert-il d’apprendre ?
Apprendre, sert à créer des automatismes dans le but de ne plus réfléchir. On réfléchit lorsqu’on ne sait pas, lorsqu’on n’est pas sûr de soi. Ces automatismes permettent de décider plus efficacement.
Apprendre, sert à reconnaître, évaluer et connecter différentes données dans le but d’anticiper une situation ou un résultat.
Apprendre sert à gagner en autonomie, comme en efficacité. Apprendre à conduire permet de ne plus être dépendant de quelqu’un pour effectuer un long trajet.
Apprendre offre un gain de pouvoir, une possibilité de s’intégrer dans un environnement avec plus d’efficience. Apprendre l’anglais pour voyager ou travailler dans les pays anglophones par exemple.
Apprendre ouvre la possibilité de choisir, conduit à la liberté. Imaginons que nous nous trouvions à un carrefour duquel part cinq chemins. Si nous connaissons la destination de chacun d’eux, nous pouvons en choisir un. Dans le cas contraire, nous sommes prisonniers du hasard. Plus on apprend, plus on est libre et conscient.
Autonomie, liberté, choix, pouvoir, efficacité, autant d’attributs positifs liés à l’apprentissage non ?
4. Informer et connaître
Une information est une donnée que l’on peut mesurer et transmettre sans altération. En cela, elle est objective et impersonnelle parce qu’elle ne dépend pas du sujet, la personne qui capte l’information. Si on a appris le lancement d’un satellite à 10h30 le 10 avril 2010, on peut transmettre cette information sans l’altérer.
Une connaissance est une expérience personnelle et subjective de l’information, partiellement transmissible. Par exemple, on peut fournir à deux apprentis cuisiniers la même information – une recette de cuisine – et les mêmes ingrédients pour réaliser le même plat dans les mêmes conditions ; le résultat – le plat cuisiné – sera différent. Pourquoi ?
- Le maître cuisinier ne peut pas livrer l’information – la recette de cuisine – de façon exhaustive. Il a conservé des données pour lui, soit parce qu’il était incapable de les formuler, soit parce qu’il croyait que ses apprentis en disposaient déjà ; pour bien d’autres raisons encore.
- Les apprentis ne se présentent pas au cours de cuisine vierges de toute information, de toute connaissance, de tout savoir. Chacun d’eux assiste au cours avec ses propres représentations du monde, ses propres expériences. L’information livrée par le maître est donc interprétée en fonction de ces représentations, de ces expériences. D’autre part, l’exhaustivité du maître étant impossible, chaque apprenti comblera le manque d’informations de manière purement individuelle.
On ne peut donc pas dupliquer une connaissance comme on copierait le contenu d’un disque dur.
D’autre part, une connaissance traduit la capacité d’utiliser une information dans des contextes variés, et de l’y adapter. Dans le cas contraire, l’information demeure une information.
Par exemple, un enfant de 4 ans est capable de mémoriser la table de 4. On peut lui dire 4*2 = 8 ; 4*3 = 12 (etc.), et il sera capable de la restituer en l’état. Mais si on lui dit : « combien font 2 fois 4 ? » ou « Si pendant 2 jours je te donne 4 euros, combien en auras-tu au total ? » Il sera incapable de répondre, le contexte a changé. De nombreux apprenants ont des problèmes parce qu’ils n’ont pas expérimenté les informations dans des contextes variés.
Il est facile de s’informer, et d’être informé. Il est difficile de connaître. Cela demande d’être exposé à plusieurs situations différentes et exige du temps.
En puisant dans notre environnement, nous apprenons beaucoup par nous-mêmes sans l’aide d’un tiers (professeur, livre, etc.) et ce, dès la naissance. Nous construisons ainsi un système de valeurs, de notions et de représentations personnelles, bref, une culture. Cela peut entraîner une résistance à la connaissance. Par exemple, pour le jeune enfant la Terre est plate parce qu’il la foule de ses pieds ; c’est ce que lui prouve son expérience personnelle. Il lui est difficile d’imaginer qu’elle est ronde. Et plus tard, dans son apprentissage, on lui apprendra qu’elle n’est pas tout à fait ronde, mais aplatie aux pôles. Toute connaissance procède d’une déconstruction d’une connaissance antérieure. Les réseaux de neurones sont obligés de se réorganiser ; des connexions s’affaiblissent puis disparaissent, d’autres émergent et se renforcent.
Parce que nous avons beaucoup appris par nous-mêmes, nous nous sommes expliqués certaines choses. Nous apprenons donc de nouvelles choses en fonction de ce système explicatif.
Le cerveau d’un apprenant n’est pas une cire malléable à loisir. Chaque information nouvelle est intégrée dans une structure cognitive préexistante avec laquelle elle doit composer. La connaissance est le fruit de cette composition. Cela explique les différentes interprétations d’un même énoncé, par exemple. Pour expliquer cela, je prends toujours pour exemple une émission littéraire qui réunit des auteurs et des critiques, de savantes personnes qui pourtant n’ont pas la même interprétation de leurs lectures.
5. Le savoir
Le savoir résulte d’une théorisation du réel à l’aide d’un vocabulaire spécialisé, en fonction d’une problématique définie. Le savoir est un dépassement des expériences empiriques, des fausses évidences. C’est une construction intellectuelle, une connaissance qui a été expurgée de toute certitude, qui a été soumise à un questionnement intensif dans un cadre rigoureux.
Le savoir peut être transformé en information lorsqu’il est débarrassé de la plupart des questions qui ont permis son élaboration. Il devient alors transmissible.
Par exemple, un maître cuisinier a inventé une recette. Cette recette est le fruit d’un ensemble de questions qui sous-tendent une problématique (le cuisinier veut parvenir à un certain résultat). Pour parfaire sa recette, il réalise plusieurs expériences, il a besoin d’un vocabulaire spécialisé, puis il la publie. Cette publication est débarrassée de toutes les réflexions que le maître cuisinier s’est posé.
6. Applications pratiques
6.1. Du côté de l’enseignant
L’enseignant (professeur, formateur, tuteur, coach) doit définir le cadre dans lequel il exerce son cours ainsi que le vocabulaire qu’il emploie. Il doit notamment prendre garde aux mots polysémiques (qui ont plusieurs sens), surtout lorsque le sens commun diffère quelque peu du sens de la spécialité.
Il doit s’assurer des prérequis des apprenants (élèves, étudiants, adultes en formation) en les questionnant sur leurs connaissances passées afin de préparer l’intégration du nouveau contenu.
Il doit présenter son cours de différentes façons pour que chaque élève y ait accès.
Toutes les fois que cela est possible, il doit montrer aux apprenants une application pratique de son cours, utilisable dans la vie quotidienne.
Une fois le cours (l’information) transmis, l’enseignant doit s’assurer que les apprenants l’ont intégré dans leur structure cognitive, c’est-à-dire qu’ils en ont effectué une bonne traduction. Que cette connaissance soit la plus fidèle possible à l’information. Cela peut passer par des questions de cours, des exercices ou d’autres activités évaluatives.
6.2. Du côté de l’apprenant
L’apprentissage doit être guidé par un enseignant (professeur, formateur, tuteur, coach) pour que l’apprenant assimile correctement les données. Apprendre est une activité sociale que ne peuvent remplacer les livres, sites internets, télévision et logiciels éducatif. En effet, ces derniers proposent des informations qui sont souvent mal interprétées. Jusqu’à présent, rien ne remplace un cours présentiel. Prenons la phrase suivante extraite d’un manuel de grammaire de 5è : « Le pronom relatif représente son antécédent ». Cette phrase, apparemment claire conduit beaucoup d’élèves à apprendre que le pronom relatif est l’antécédent. Représenter = être pour eux. Ce qui est faux. Le pronom relatif est un pronom (du latin pro numen = à la place du nom) qui remplace un mot ou un groupe de mots que l’on qualifie d’antécédent. La distinction est subtile mais essentielle pour ne pas commettre d’erreurs. Un élève dont l’erreur n’a pas été corrigée le plus tôt possible a de fortes chances de la répéter parce que les neurones vont établir des connexions préférentielles, comme s’il y avait une ligne téléphonique directe entre eux. On peut toutefois apprendre correctement seul si les conditions suivantes sont remplies : maîtriser parfaitement le langage courant comme le langage spécialisé de la discipline à apprendre, disposer d’une culture générale solide et des bases dans la discipline étudiée, apprendre via des sources variées pour s’assurer de la bonne compréhension du sujet.
Faire des fiches. Les fiches sont une synthèse personnelle du cours. Personnelle, parce qu’apprendre, c’est traduire pour soi. Une fiche faite par un tiers est infiniment moins efficace qu’une fiche qu’on a réalisée soi-même. Nous rappelons que l’information se transmet bien, pas la connaissance. Dans un premier temps, on mémorise les principaux éléments du cours. Dans un second temps, on réalise une fiche synthétique à partir des éléments en mémoire sans plus regarder le cours. Dans un dernier temps, on compare la fiche au cours pour effectuer les corrections nécessaires. Nous apprendrons plus tard à réaliser plusieurs modèles de fiches.
Faire différents types d’exercice. La répétition conduit à plus de performance dans la tâche répétée, nous en avons donné les raisons dans la section « bases biologiques de l’apprentissage ». Par exemple, si on se met à faire des sudoku ou des mots croisés, on s’améliorera via la pratique de ces activités. Mais cela n’implique nullement une augmentation significative des compétences logiques ou langagières. Autre exemple : la lecture n’a que peu d’effet sur l’orthographe, contrairement à ce qu’on affirme. En revanche, lire augmente la vitesse de lecture et la compréhension de ce qu’on lit. De la même façon, faire plusieurs exercices du même type conduira à plus d’efficacité dans la résolution de ce type d’exercices. Mais très fréquemment, les enseignants (au lycée et au supérieur) donnent d’autres types d’exercices lors des contrôles. Ces derniers présentent un contexte nouveau dans lequel l’apprenant doit utiliser les informations acquises lors de l’apprentissage de son cours. Il se trouve néanmoins désorienté parce que les modèles d’exercices effectués à la maison ne correspondent pas à l’exercice du contrôle. Sans points de repères, soit il est paralysé, soit il applique ce qu’il a retenu du modèle d’exercice en mémoire à l’exercice à traiter lors du contrôle, ce qui est une source de problèmes. Ce type d’erreur, très fréquent, explique que des apprenants studieux échouent lors de contrôles. Cela concerne essentiellement les apprenants qui mémorisent fidèlement les cours et les exercices. Leur mémoire assure une sécurité. Les apprenants créatifs sont beaucoup moins exposés à ce genre de problème. Effectivement, la créativité est la capacité à employer ce dont on dispose pour régler des situations inédites. Cela s’apprend, nous proposerons sur ce site des cours de créativité.
Etablir des liens entre la leçon à apprendre et des situations de vie courante ou professionnelle. C’est un point essentiel abordé lors des formations professionnelles, trop peu lors des formations initiales (primaire, collège, lycée, supérieur). Ces dernières paraissent donc purement théoriques (alors qu’elles ne le sont pas), déconnectées de la réalité. Connaître n’est pas être informé. On ne connaît vraiment ce qu’on apprend que lorsqu’on est confronté à des contextes différents. Imaginer des applications pratiques de ce qu’on apprend renforce grandement les apprentissages ainsi que la créativité.