Problèmes de mémoire de travail et apprentissage scolaire

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La mémoire de travail est fondamentale dans les apprentissages. Sa performance est un facteur prédictif de réussite scolaire plus important que le Qi a-t-on coutume de dire, aussi est-il bon d’être sensibilisé aux activités scolaires dont l’échec pourrait objectiver des dysfonctionnements. Dans cet article, je donnerai quelques pistes aux personnes au contact d’apprenants de moins de 15 ans.

Outil de sensibilisation aux problèmes de mémoire de travail dans les apprentissages scolaires

Avertissement

Vous comprendrez mieux cet article si vous lisez les autres dans l’ordre:

https://3783-42515808c115.wptiger.fr/memoire-de-travail/introduction-a-la-memoire-de-travail.html
https://3783-42515808c115.wptiger.fr/memoire-de-travail/organisation-et-fonctions-de-la-memoire-de-travail.html
https://3783-42515808c115.wptiger.fr/memoire-de-travail/capacite-de-la-memoire-de-travail.html
https://3783-42515808c115.wptiger.fr/memoire-de-travail/les-incidences-de-la-memoire-de-travail.html

Également, je vous invite à lire les articles suivants dans l’ordre, puisque des psychologues spécialisés en moyens mnémotechniques ont étudié la mémoire à court terme et la mémoire de travail:

https://3783-42515808c115.wptiger.fr/procedes-mnemotechniques/mnemoniste-procedes-mnemotechniques.html
https://3783-42515808c115.wptiger.fr/procedes-mnemotechniques/efficacite-methode-mnemotechnique.html
https://3783-42515808c115.wptiger.fr/procedes-mnemotechniques/fonctionnement-mnemotechnique.html

La mémoire de travail est débattue, sa reconnaissance comme construit distinct pas unanimement reconnue, et si les modèles les plus populaires sont les modèles de Baddeley et Hitch ou de Cowan, on ne saurait oublier le modèle d’Oberauer ou encore le concept de mémoire de travail à long terme défendu par Ericsson, Kintsch, Richardson, McNamara ou Wagner, sans prétendre à l’exhaustivité des spécialistes et modèles.

Les informations présentes dans cet article sont extraites de nombreux livres et articles sur la mémoire de travail et des articles et ouvrages plus spécifiques sur la relation entre la mémoire de travail et le succès académique, comme ceux qu’ont écrit Suzan Gathercole ou Milton J. Dehn*, moins connu mais ô combien brillant. Également, j’ai livré quelques éléments de mes propres recherches. J’ai donc essayé de trouver des situations concrètes à rattacher aux modèles théoriques et qui permettront de sensibiliser toute personne au contact d’un apprenant de moins de 15 ans.

Si j’ai souhaité sensibiliser les personnes (enseignants, parents, etc.) au contact d’apprenants de moins de 15 ans, c’est parce qu’il existe désormais des moyens de proposer une pédagogie adaptée pour favoriser leur réussite scolaire, ou au moins limiter leur échec. Encore faut-il reconnaître le rôle des différents composants de la mémoire de travail en lien avec les différentes activités d’apprentissage.

Cet article ne donne pas des outils de diagnostic. Seul un psychologue spécialisé en psychométrie (partie de la psychologie qui mesure l’esprit) saurait établir un tel diagnostic, sur la base de tests sous licence, des tests qui ont été mis au point après des années de recherches par de grands spécialistes. De plus, le psychologue ne se contentera pas de tester l’enfant ou l’adolescent. Il faut aussi noter qu’en France, le titre de neuropsychologue n’existe pas ; il n’y a pas de distinction entre psychologue et neuropsychologue. Un neuropsychologue ne sera donc pas meilleur qu’un psychologue, on peut aller voir indifféremment l’un ou l’autre.

Il faut donc prendre cet article comme un filtre, une grille d’analyse, et si on reconnaît un symptôme chez un apprenant de son entourage, il ne faut pas en déduire qu’il est sujet à un trouble de la mémoire de travail. En revanche, l’accumulation de symptômes dans le temps et dans la variété des activités scolaires qui solliciteraient un composant spécifique de la mémoire de travail pourrait en effet faire penser à un trouble. Il conviendrait alors de contacter le/la psychologue scolaire qui saura prendre la décision appropriée, ou aller voir un psychométricien (psychologue spécialisé dans la mesure de l’esprit) en CHU ou en cabinet libéral. C’est à cela que l’article est utile. Pas à autre chose.

* MIlton J. Dehn, Working Memory and Academic Learning: Assesment and Intervention, WIley, 2008 (ouvrage réservé aux psychologues et à ceux qui ont une bonne connaissance de la mémoire de travail. Ce n’est pas du tout un ouvrage grand public)

 

Le profil-type de l’élève concerné

Pour être clair dès le départ, un apprenant qui fournit des efforts constants pour apprendre mais obtient de faibles résultats scolaires doit inviter son entourage à s’interroger sur la capacité de sa mémoire de travail.

Vraisemblablement, on ne privilégiera donc pas:
– l’apprenant qui ne travaille pas ;
– l’apprenant qui n’a pas comblé ses lacunes, issues d’un manque de travail dans le passé;
– l’apprenant qui fait de la résistance passive (il passe du temps sur ses cours, mais n’en n’a rien à faire)
– l’apprenant qui a de mauvaises notes parce qu’il n’a pas compris les normes et les méthodes imposées par les exercices notés. Par exemple, il parle de lui ou d’un thème qui lui tient à coeur dans une dissertation, et se trouve de facto hors sujet;
– L’apprenant créatif ou rebelle qui ne veut/peut pas se soumettre aux contraintes de l’éducation de masse.

Le profil-type dont il est question est donc bien un apprenant qui effectue des efforts réguliers et prolongés pour apprendre mais qui y parvient difficilement, voire pas du tout.

 

Identifier les problèmes généraux avec la mémoire de travail

Un apprenant qui éprouve des difficultés à établir et maintenir des liens peut montrer une faiblesse de la mémoire de travail. Il faut bien entendu que cette difficulté soit récurrente, qu’elle s’applique à toutes sortes de tâches, scolaires et extra-scolaires, et qu’elle ne soit pas partagée par la norme des camarades parvenus au même stade de développement cognitif.

Sont donc concernés :

Les apprenants qui oublient dans le quart d’heure qui suit, voire la demi-heure, ce qu’ils ont appris, malgré de nombreuses répétitions.

Les apprenants qui ont des difficultés à établir des liens entre ce qu’ils ont appris (l’ancien) et ce qu’ils doivent apprendre (le nouveau). Pour eux, tout est nouveau, rien n’est lié. Par exemple, ils ne comprennent pas que la soustraction est l’inverse de l’addition ni qu’un régime politique peut succéder à un autre tout en conservant certaines pratiques et institutions.

Les apprenants qui sont confus. Ils ont mémorisé leur cours, souvent après beaucoup d’efforts, mais lorsqu’ils sont interrogés, ils sont incapables de tenir un discours écrit ou oral cohérent. On ne les comprend pas parce qu’ils mélangent tout, au sein d’un thème ou de thèmes différents. N’entre pas dans ce cas de figure l’apprenant qui utilise des analogies plus ou moins heureuses pour prouver sa thèse. Le fait d’utiliser les analogies, même si elles sont exotiques, prouve qu’il y a une recherche de lien. En revanche, on est bien dans le cas de l’apprenant qui dans la même phrase est capable de dire tout et n’importe quoi et cela à propos de n’importe quel sujet. Un bon moyen d’être sensibilisé à une potentielle faiblesse de mémoire de travail est de demander à l’apprenant de reformuler ou de faire un résumé. La reformulation étant une tâche cognitive plus simple que le résumé, un échec à reformuler qui se manifeste par des incohérences est un bon indicateur.

La confusion peut se retrouver à l’écrit, dans le fait que les informations ne sont pas organisées. Il n’y a pas de plan, pas de ligne directrice, pas de hiérarchie, peu de connecteurs logiques. En mathématiques, cela concerne par exemple l’apprenant qui est incapable de respecter l’ordre des opérations parce qu’il n’en comprend pas le rôle.

L’apprenant commence une activité, est interrompu, puis ne sait plus où il en était. Par exemple, il récite le premier quatrain d’un sonnet, est interrompu par une question, puis ne reprend pas là où il en était, mais au début ou à un autre endroit du poème qu’il doit réciter.

Également, cet apprenant se fait remarquer par une lenteur inhabituelle lorsqu’il faut commencer une activité, l’interrompre au profit d’une seconde activité, puis y revenir. Il se sentira perdu.

Interrompre un apprenant lorsqu’il est en train d’encoder ou de restituer une information et qui ne sait plus où il en était lorsqu’il doit reprendre est un bon moyen de noter une possible faiblesse générale de la mémoire de travail.

L’apprenant est capable d’effectuer des tâches simples, mais est incapable d’effectuer des tâches complexes, réalisables par ses camarades. Il reste bloqué, n’essaie pas de trouver d’autres solutions, ne sait pas comment utiliser ce qu’il a appris pour résoudre la difficulté, fonctionne en roue libre. Il ne faut pas le confondre avec l’apprenant qui est bloqué parce qu’il est stressé, parce qu’il a mal dormi ou parce qu’il a des lacunes. Je rappelle qu’on est toujours dans le cas d’un apprenant qui travaille régulièrement et échoue à des activités réussies d’ordinaire par ses camarades. Confronté à une tâche complexe – mais réalisable par un apprenant ordinaire – cet apprenant sera rapidement déconcentré et il est susceptible soit de se faire le plus discret possible (le flee du fight and flee), soit au contraire de se faire le plus remarquer (le fight du fight and flee).

Cet apprenant est facilement distrait, quelle que soit la tâche.

Il peut avoir des problèmes sérieux avec la notion de temps ou d’espace.

Généralement, il a des difficultés avec le calcul mental. Il peut savoir additionner et multiplier, mais soustraire et diviser lui est difficile.

Les doubles négations (exemple : je ne peux pas ne pas vous dire) et la prétérition (=je ne vous parlerai pas de mes dernières vacances) ne sont pas comprises.

Certaines figures de rhétorique lui sont très difficilement compréhensibles : figures d’analogie et de substitution surtout.

Enfin, cet apprenant est facilement distrait et prend beaucoup de temps lorsqu’il est confronté à la nouveauté. Il demandera aussi souvent s’il n’existe pas une manière simple de résoudre l’activité, il sera systématiquement en attente d’une technique simple qu’il peut appliquer.

Il faut cependant faire attention avec la rapidité observable dans le traitement des informations. Certains apprenants très brillants réfléchissent rapidement mais prennent du temps à donner la preuve observable (la réponse) parce qu’ils entrevoient quantité de liens qui lui interdisent de donner une réponse simple et immédiate. C’est aussi le cas des experts. Ceux-ci ne peuvent pas donner une réponse directe à une question, ils ont besoin de contextualiser, de piocher ici ou là.

 

Identifier les problèmes avec l’administrateur central

Cet apprenant apparaît fréquemment hors sujet, à l’oral comme à l’écrit, aussi bien lorsqu’il doit répondre que lorsqu’il pose des questions.

Traduire lui est difficile, aussi bien lorsqu’on lui demande de traduire l’addition en soustraction, le français en anglais, le propane en c3h8 et tous les exercices qui nécessitent de transformer. Plus largement, c’est un trouble de l’inhibition et de l’alternative ; il parvient difficilement à inhiber un stimulus, à effectuer le passage d’un type à l’autre.

Cet apprenant ne peut pas écouter et prendre des notes en même temps. Si personne ne sait faire deux choses en même temps sans perte de performance, pour lui, cela est impossible. Il va chercher à tout noter, se concentre sur la traduction du phonème en graphème et ne se rend donc pas disponible pour écouter en classe. Une fois chez lui, il relit ses notes mais ne les comprend pas ; c’est comme s’il avait été absent en classe.

Il est imperméable à la méthodologie, aux stratégies d’apprentissage. Il utilise des stratégies basiques qui ne sont plus applicables à son niveau. Il lui est difficile de faire des inférences, de déduire des généralités par l’observation de phénomènes, de rattacher ses observations à des modèles. Tout est quasiment toujours nouveau.

Cet apprenant n’est pas créatif dans les apprentissages scolaires. S’il travaille beaucoup en faisant des dizaines d’exercices similaires, il peut performer correctement en classe lorsque le même type d’exercice lui est proposé. Mais si on lui propose un type d’exercice différent qui pourtant ne nécessite pas de connaissance particulière, il sera très certainement en difficulté.

Incapacité à inhiber et à passer d’une tâche à l’autre sont caractéristiques de problèmes liés à la mémoire de travail exécutive.

 

Identifier les problèmes avec la mémoire de travail verbale

Cet apprenant va chercher à tout noter, mot pour mot. Il est prisonnier de mémoires externes (feuille, traitement de texte…). Il se sent perdu s’il ne les a pas.

Il ne comprend pas les phrases complexes sur le plan grammatical, c’est-à-dire avec plusieurs verbes conjugués. Il lui faut des phrases simples et courtes: sujet, verbe, complément essentiel. Lorsqu’il tente d’exprimer sa pensée avec des phrases complexes, il s’embrouille très vite et apparaît incohérent. Les pronoms lui paraissent aussi confus, il a oublié quel nom ils remplacent.

L’orthographe grammaticale lui est douloureux, les problèmes mathématiques, même les plus simples, lui sont impossibles, ainsi que pour les équations à deux inconnues.

D’une manière générale, il éprouve d’importantes difficultés dans les langues et les mathématiques.

Il a une idée en tête, veut l’exprimer, mais s’il ne le fait pas immédiatement, il en exprime une autre et/ou ne parvient pas à retrouver ce qu’il voulait dire.

Les notes qu’il prend sont confuses, tout est embrouillé, il y a de nombreux manques. Attention : un lycéen qui note des mots clefs non pas des phrases entières ne fait pas preuve d’un déficit en mémoire de travail verbale. Au contraire, ses notes sont exactement le reflet de ce que font les apprenants les plus brillants. Ces mots clefs sont des points d’ancrage, des indices de récupération qui vont favoriser l’étape de rappel.

Mais l’apprenant qui relit plusieurs fois les mêmes phrases parce qu’il oublie ce qu’il lit au fur et à mesure peut objectiver un problème avec la mémoire de travail verbale ; il se concentre sur le décodage ; il accède difficilement au sens de ce qu’il lit.

On lui donne oralement une consigne, on est interrompu et la minute d’après, il a oublié la consigne.

Les consignes doivent être claires, toutes les étapes de l’exercice détaillées et numérotées. Il ne peut pas penser en même temps à ce qu’il doit faire et comment le faire. En revanche, si on lui écrit les étapes à suivre, il peut être en capacité de réussite.

Reformuler des phrases courtes lui est possible, résumer très difficile (il lui faut beaucoup de temps et d’effort), synthétiser impossible.

Quand il écrit, il oublie souvent des informations, ou répète plusieurs fois les mêmes sans en avoir conscience. Cela devient évident lorsque les textes à écrire doivent être longs.

Il a des difficultés avec les anagrammes donnés oralement.

 

Identifier les problèmes avec la mémoire de travail visuospatiale

Il est très difficile de repérer les troubles de la mémoire de travail visuospatiale sans faire de test parce que parvenus à 10 ans, l’immense majorité d’entre nous recode phonologiquement les informations visuospatiales. Sans doute est-ce l’effet de l’instruction qui repose essentiellement sur le langage verbal.

Ce processus de recodage phonologique commence bien avant nos 10 ans, aussi est-ce chez les enfants de moins de 6 ans qu’on va le plus facilement détecter ces troubles. En effet, à cet âge, la réussite aux apprentissages repose alors davantage sur la mémoire de travail visuospatiale qu’après 10 ans.

Ainsi, un enfant de moins de 6 ans qui échoue de manière récurrente aux problèmes arithmétiques non verbaux peut objectiver un déficit visuospatial.

D’une manière générale, un trouble de la mémoire de travail visuospatiale chez un apprenant de cet âge peut se manifester dans les activités liées aux informations visuelles statiques (traitement des formes et des couleurs) et spatiales dynamiques (traitement de la direction et du mouvement) par rapport à un camarade du même âge.

La manière de présenter les opérations arithmétiques peut être aussi un indicateur. Un trouble de la mémoire de travail visuospatiale peut s’observer chez un apprenant qui échouera à une opération arithmétique lorsqu’elle est présentée horizontalement, mais réussira lorsqu’elle est présentée verticalement.

Bien entendu, de grandes faiblesses en géométrie et géographie jusqu’au collège peuvent indiquer des difficultés avec la composante visuospatiale, et ce sera un marqueur d’autant plus pertinent pour les apprenants les plus jeunes.

Inversement, les mathématiciens de très haut niveau ont tous une mémoire de travail visuospatiale très développée (la mémoire de travail verbale suffit cependant pour avoir un bon niveau), et les génies des mathématiques partageraient même le fait d’être doués de synesthésie.

La mémoire de travail visuospatiale serait fortement impliquée dans les modèles mentaux spatiaux ainsi que dans les images mentales visuelles.

 

Pour terminer

Je suis très loin d’avoir listé toutes les situations scolaires qui pourraient mettre en relief un déficit de mémoire de travail, mais vous aurez déjà quelques pistes intéressantes, j’en suis persuadé.

De la lecture de cet article, quelques questions peuvent émerger, comme par exemple :
– Peut-on augmenter la capacité de la mémoire de travail chez un enfant, un adolescent ou un adulte ?
– Peut-on réussir sa scolarité même avec des troubles de la mémoire de travail ?
– Et le rôle de la mémoire de travail dans les activités professionnelles ?

Je répondrai à ces questions, ainsi qu’à d’autres que vous pourriez poser en commentaire sous cet article. Mais ces réponses feront l’objet d’autres articles que je rédigerai en temps voulu.

En attendant, je vais quand même donner quelques brèves réponses que j’approfondirai.

Sans pédagogie adaptée, on peut réussir sa scolarité jusqu’à la fin du collège si on a des troubles de la mémoire de travail et si on étudie beaucoup. Au lycée, ce sera plus difficile, quoique avec la réforme qui introduit l’approche par compétences issue du behaviorisme, on demandera moins aux lycéens de réfléchir, on les conditionnera davantage à associer une réponse à un stimulus.

Avec une pédagogie adaptée (qui implique donc le corps enseignant), un tiers temps obtenu après une évaluation psy, et de bonnes stratégies d’apprentissage, on peut réussir au collège comme au lycée et mener une vie professionnelle heureuse. Il faut mettre ces interventions en place le plus tôt possible.

Quant à la question d’améliorer la capacité de la mémoire de travail, je suis très sceptique. Je l’étais déjà lorsque j’avais écrit d’autres articles sur ce site, et les évaluations récentes plutôt négatives du programme Cogmed de Torkel Klingberg, le plus abouti en matière de stimulation de la mémoire à court terme et de la mémoire de travail, ont confirmé mes intuitions et mon expérience.

En effet, on peut prendre n’importe quelle tâche, n’importe quelle activité, si on s’entraîne, on deviendra meilleur à cette tâche, jusqu’à découvrir nos limites qui sont marquées génétiquement (mais il y a de la marge, il ne faut pas s’inquiéter). Donc, si on s’entraîne avec Cogmed ou avec n’importe quel autre programme de ce type, on va mieux performer aux items proposés par ces programmes.

Les grandes questions à se poser sont :
– Le bénéfice vaut-il les efforts et l’argent investis ?
– La performance aux tâches entraînées est-elle maintenue une fois l’entraînement terminé ?
– La performance obtenue par l’entraînement à une tâche est-elle transférable à d’autres tâches?

Évaluer scientifiquement et objectivement, sans biais, est extrêmement difficile, long et coûteux. Les évaluations les plus proches de la vérité scientifique (comme ce que fait l’équipe de Suzan Gathercole) semblent indiquer que l’entraînement de la mémoire de travail et de la mémoire à court terme n’apporte pas grand-chose, y compris avec Cogmed le programme le plus abouti en la matière.

L’équipe de Gehan Roberts a mené des évaluations pendant 2 ans sur une population d’élèves suffisamment importante et représentative, et leur étude a été publiée sur Pubmed, gage de sérieux. Cette équipe conclut que le programme Cogmed pourrait améliorer temporairement la mémoire à court terme visuospatiale, mais qu’il n’y a pas de gain dans les autres composantes. Roberts et collègues ne conseillent pas ce programme. Les résultats des élèves en mathématiques qui ont suivi le programme ont même diminué.

Très franchement, quant à la mémoire visuospatiale, il vaut mieux jouer à des FPS ou des RTS ou d’autres jeux vidéos. Je suis convaincu qu’on obtiendrait des résultats similaires.D’ailleurs, c’est l’un des sujets du laboratoire de psychologie cognitive expérimentale de l’Université de Genève.

Les évaluations des programmes de stimulation cognitive par logiciel ne sont pas vraiment bons, et ce, même si les expériences menées en laboratoire de psychologie et publiées dans des revues à comité de lecture ont prouvé une amélioration de la mémoire de travail. Encore une fois, pour plagier l’écrivain et naturaliste Steinbeck, si on étudie un poisson dans un aquarium, on n’étudie pas un poisson dans son milieu. Le milieu du laboratoire et le milieu dans lequel on vit sont différents.

Je souligne également que Reuven Feuerstein avait déjà mis au moins un programme de stimulation cognitive appelé Programme d’Enrichissement Instrumental, sans véritable succès, et les équipes de psychologues qui se sont intéressés aux méthodes mnémotechniques avaient aussi conduit des expériences avec pour résultat d’améliorer l’empan verbal, sans que les bénéfices de cet entraînement ne soient transférables.

Donc, pour améliorer ses résultats en mathématiques, il faut faire des mathématiques. Et c’est le cas pour les autres matières.Mais dans la vie professionnelle, cela se passe exactement de la même façon. Ce n’est pas le diplôme qui compte le plus mais l’expérience. Les bénéfices du diplôme (comme évaluation des connaissances théoriques et théorétiques, voire pratiques pour certaines formations) ne sont pas entièrement transférables au milieu professionnel. On apprend du milieu professionnel pour y être adapté et mieux performer. Tout s’apprend, il n’existe donc pas de solution miracle. En revanche, de bonnes méthodes et de bonnes stratégies sont toujours profitables.

Il existe déjà des endroits où se stimuler cognitivement: les lieux de formation. Il existe déjà des activités pour stimuler cogitivement: les cours et exercices. Il existe déjà des personnes qui stimulent cognitivement : les enseignants et formateurs.

Et comme je l’avais écrit dans un autre article, j’ai mis au point des exercices pour stimuler la mémoire de travail, avec un impact positif sur les apprentissages scolaires. Pour ce faire, j’ai étudié tous les subtests présents dans les évaluations de la mémoire à court terme et de la mémoire de travail, ainsi que quelques logiciels de stimulation. Puis j’ai effectué le lien avec les apprentissages scolaires parce qu’il m’était apparu suprenant de réussir aux activités scolaires en s’entraînant à autre chose, même si cet entraînement avait été réalisé par un grand scientifique tel que Klingberg.

Je vais prochainement partager l’un de mes exercices dont j’ai parlé plus haut. Il n’y a pas besoin d’ordinateur, et il est même préférable de ne pas en utiliser. L’apprentissage est avant tout un phénomène social.

© Pascal Roulois. Mon travail ayant été repris dans une formation de formateurs et dans une conférence sans me citer, je précise que les règles d’usage en matière de droit d’auteur s’appliquent aussi à l’espace numérique et même si celui-ci n’est pas Wiley, Pearson ou les PUF, on ne peut s’approprier le travail d’autrui. Par conséquent, il est interdit de publier cet article (ou de le traduire) sur un autre support, sans le consentement de son auteur; en revanche un lien vers l’article est le bienvenu; la lecture sera toujours gratuite. Mes écrits poursuivent un double objectif: aider le maximum de personnes afin de donner un sens à la vie, et générer des contrats et contacts professionnels afin de remplir l’assiette. Merci de respecter un travail chronophage.

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