Les intelligences Multiples – partie 2

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“Le consensus qui émane de la communauté scientifique place la théorie des Intelligences Multiples au rang de neuromythe” peut-on lire. Rien n’est plus faux, et voici pourquoi.

 

1. Le terme de consensus émanant de la communauté scientifique est discutable

Que le mot « consensus » soit pris dans son acception scientifique ou courante, le terme de « communauté scientifique » rappelle la « communauté internationale » qui exclut la majorité des pays qui appartiennent alors à la communauté extraterrestre.

C’est de la politique, pas de la science.

 

2. Voici ce que pense Daniel Willingham

« Multiple Intelligence is not a neuromyth. I’ve criticized it  – I don’t think it’s the best theory of intelligence avalaible, but it is a scientific theory that merits serious review…and Dr Howard Gardner is right that what’s oftent debunked is misinterpretation of MI. »

Voici son tweet (consulté le 11 juin 2021): https://twitter.com/dtwillingham/status/1229783300245348352?lang=fr

Daniel Willingham est un psychologue spécialiste de l’éducation. C’est un membre très respecté de cette communauté scientifique, et l’un des premiers détracteurs des Intelligences Multiples

 

3. Voici ce que pense Pedro de Bruyckere

« I have to agree, we didn’t call it a myth neither in our 2015 book and didn’t discuss it in our neuromyth section but in the (possible) myths about learning section. We also mentioned that Gardner has often complained that his theory has been misused as a kind of learning styles theory.
[…]
So I agree with this tweet by Dan Willingham
[…]
But while a lot of people have seen the first and last part of the tweet, I also agree with the middle part »

La source (consultée le 11 juin 2021): https://theeconomyofmeaning.com/2020/02/19/are-multiple-intelligences-a-neuromyth/

Pedro De Bruyckere est un chercheur qui s’est spécialisé dans les mythes en éducation. Il est sans complaisance avec les Intelligences Multiples qu’il a aussi critiquées, pourtant il refuse de les classer au rang de neuromythe.
C’est le cas de beaucoup d’autres chercheurs !

 

4. Une communauté scientifique majoritaire ?

1. Aucune preuve !
2. “En sciences, contrairement à la politique, la majorité n’a pas toujours raison” (Robert Sternberg)
3. Ce qui est majoritaire, c’est une vision politique et subjective de l’education. Toujours !

 

5. Un « must » en matière de publication scientifique

Dans l’édition « Cambridge Handbook », un must en matière de publication scientifique, où il faut être un chercheur « top niveau » pour s’y voir publier, les Intelligences Multiples ont leur place au chapitre 24.

 

6. Il faut consulter les sources à la source

L’édition anglaise de Frames of Mind est plus riche que l’édition française. La bibliographie montre bien que Gardner s’appuie sur des sources sérieuses.

On lit une oeuvre dans sa langue d’origine si possible !

Sur le site d’Howard Gardner, www.multipleintelligenceoasis.org ,vous trouverez très facilement le document présenté ci-dessous

37 pages, dont 6 de bibliographie.

C’est assez récent et répond à toutes les critiques

the theory of multiple intelligences

Howard Gardner a aussi répondu à toutes les critiques dans un document de 24 pages, intitulé « Frequently Asked Questions ». A télécharger sur son site, déjà nommé.

L’immense majorité des critiques des IM n’ont même pas lu Frames of Mind. Ils ne savent pas faire la différence entre un style d’apprentissage et les IM. Et ils confondent un style d’apprentissage pour enseigner avec une préférence d’apprentissage pour apprendre. S’il n’est pas pertinent de se reposer sur un style d’apprentissage pour enseigner, en revanche les apprenants ont bien une préférence d’apprentissage. On enseigne à plusieurs apprenants, qui sont très différents, mais chaque apprenant apprend seul.

Enfin, on ne va pas voir l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. On va voir l’ours.

Tout le monde peut faire des erreurs. Donc, on va consulter les sources à la source.

 

7. Les Intelligences Multiples ne sont pas une théorie neuroscientifique ? Vraiment ?

Dans ce document très récent, Branton Shearer (qui a comme tout le monde un PhD) fait une revue des IM sur le plan psychologique et neuroscientifique. Il présente plusieurs centaines d’études neuroscientifiques. Depuis la réforme du LMD, il y a plus de PhD que de CAP (ça c’est de l’humour).

Le board de ce journal est sérieux, et la politique de publication aussi.

 

8. On reproche aux Intelligences Multiples de ne pas pouvoir distinguer les intelligences, ni en localiser certaines (ce qui revient au même d’ailleurs)

Alors, voilà du très lourd, de la vraie neurosciences: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0896627312005843

« The results presented here provide evidence to support the view that human intelligence is not unitary but, rather, is formed from multiple cognitive components. These components reflect the way in which the brain regions that have previously been implicated in intelligence are organized into functionally specialized networks and, moreover, when the tendency for cognitive tasks to recruit a combination of these functional networks is accounted for, there is little evidence for a higher-order intelligence factor. […] it is reasonable to conclude that human intelligence is most parsimoniously conceived of as an emergent property of multiple specialized brain systems, each of which has its own capacity.”

Et voilà un autre extrait d’un article très récent, paru en avril 2021: https://www.nature.com/articles/s41467-021-22199-9

« These dynamic functional networks are thought to be heavily overlapping, such that any given brain region can express flexible relationships with many networks, depending on the cognitive context. This dynamic network perspective represents a major departure from localist models of brain functional organisation. […] The set of possible conjunctions can be considered as the repertoire of dynamic network states and the expression of these states may differ across individuals and relate to cognitive performance.”

 

9. Un commentaire

Autant la revue de la littérature scientifique effectuée par Branton Shearer montre que les Intelligences Multiples sont bien neuroscientifiques, autant les deux documents suivants ne le montrent pas.

En revanche, ils montrent que la conception classique de l’intelligence, et de la localisation de l’intelligence et du fameux facteur g sont à revoir sur le plan neuroscientifique. Allons-nous dire que cette théorie classique est un neuromythe ? Comment demander à Gardner de localiser ses intelligences et de les distinguer si l’intelligence au sens classique ne peut être localisée ni distincte, si c’est une propriété émergente d’un système ? Gardner pense en système. Il a toujours pensé en système ! Donc, le réductionnisme analytique ne peut fonctionner pour comprendre les IM ou les évaluer. Mesurer la complexité nécessite une démarche et des outils adaptés !

Déjà, Ian Deary, un psychologue très réputé et spécialiste de l’intelligence, qui rejette aussi la dimension neuroscientifique des intelligences multiples, avait admis que vraisemblablement, il n’était pas concevable de circonscrire l’intelligence au lobe frontal. Ce que Gardner avait été l’un des premiers à énoncer, en critiquant le « g-ocentric ».

De très récents travaux impliquent aussi le cervelet, et donneraient une base neuroscientifique aux pédagogies basées sur la grounded cognition ou l’embodied cognition, ce qui avait été difficile à démontrer jusqu’ici.

 

10.Conclusion rapide et temporaire sur la dimension scientifique des Intelligences Multiples

Il est simpliste de qualifier les Intelligences Multiples de neuromythe.

Les bases neuroscientifiques et scientifiques sont sérieuses. D’où le tweet de Willingham qui résume parfaitement “l’état de la science” comme on dit. Sur son site, Willingham a aussi ajouté qu’une mauvaise théorie pouvait donner naissance à de bonnes pratiques.
Maintenant, les neurosciences sont une discipline comme une autre. Elles ne sont pas supérieures à la psychologie cognitive, à la sociologie, etc.

On en fait trop avec les neurosciences. Et un humain ne se résume pas à son cerveau. Il y a le cerveau et ce que produit le cerveau. Tout est affaire de systèmes dont les éléments sont en interaction dynamique.

Le monde est complexe, et “si le cerveau était si simple qu’on pouvait le comprendre, nous-même serions trop simples pour le comprendre”

 

11. Il faut faire attention avec les études scientifiques

De grands dangers se profilent parce que la science est instrumentalisée au profit d’intérêts économiques et politiques. Et la dictature de l’expert n’est pas loin.

La perfection n’entraîne pas forcément un monde parfait. Une organisation dont tous les membres suivent les règles est paralysée. L’expérience a été tentée.

Les études scientifiques sont diverses, il existe différentes façons de faire de la science. Il y a des études quantitatives mais aussi qualitatives.

Des philosophes des sciences discutent toujours des limites de la méthode scientifique. Voir l’excellente collection dirigée par Joke Meheus.

Stricto sensu, la psychométrie (la mesure de l’intelligence) est une pseudo-science.

Les études scientifiques sont souvent l’objet d’erreurs et autres biais au nombre desquels on trouve les erreurs dans le traitement statistique, des erreurs dans l’échantillon, la crise de la réplication, des erreurs de raisonnement, etc.

L’imagerie médicale a trouvé de l’activité dans le cerveau d’un poisson mort ! Donc, attention avec ça aussi. Beaucoup de neuronawak.

Il est intéressant de lire les commentaires des chercheurs qui interviennent sous les publications scientifiques. Ca permet de prendre la mesure de la complexité. Les échanges sur les réseaux sociaux paraissent aussi parfois très apaisées au regard.

Toutes les sciences sont concernées.

Avec le “publish or perish”, il se publie n’importe quoi. Vraiment !

 

12. Les Intelligences Multiples sont-elles efficaces ?

Dans les documents présentés plus haut, et issus du site d’Howard Gardner “multipleintelligenceoasis”, vous verrez que les IM sont efficaces. Pour autant, les auteurs reconnaissent que l’efficacité n’a pas pu être mesurée en isolant les IM du reste.

Franchement, pour le praticien (prof, formateur/trice), ça importe peu. Ils sont confrontés à la globalité, au tout, à un système, pas à ses éléments isolés.

Qui veut bien se donner la peine trouvera d’autres documents avalisant l’efficacité des IM, y compris en formation professionnelle pour adultes.

Pour autant, il est extrêmement difficile, peut-être impossible, de trouver des relations causales. Le vrai monde, celui des tâches complexes, contient tellement de paramètres !

Dans le livre présenté ci-dessous, on apprend notamment que ces expériences ont réussi parce qu’elles avaient eu le temps de se développer et parce que le personnel éducatif avait été formé par de vrais experts en IM, non pas par des formateurs/trices qui avaient lu 2 ou 3 livres de vulgarisation. Toujours le même problème: avoir des moyens financiers, réunir les bonnes personnes, et avoir du temps.

mi student achievement

 

13. La question qui tue

Étant un critical thinker (“école” Diane F. Halpern pour ceux qu connaissent) qui critique (donc évalue) absolument tout, sans concession, je me suis posé une question:
“Les Intelligences Multiples, et plus largement les neuromythes et mythes, sont-ils un problème en éducation ? Autrement dit, cela impacte-t-il négativement les pratiques ? Par exemple, le fait de croire qu’on est faussement cerveau gauche ou cerveau droit se traduit-il pédagogiquement dans la classe ou salle de formation ? Cet impact est-il statistiquement significatif ?”

Pour le moment, je n’ai pas trouvé de réponse. Je n’ai pas non plus beaucoup cherché. Peut-être que la question n’a pas été posée, donc il n’existerait pas d’étude rigoureuse pour statuer.

A priori, mais c’est totalement subjectif, j’imagine assez mal un/e prof ou formateur/trice être monolithe dans ses pratiques.

A priori, et c’est aussi totalement subjectif, et pour le coup provocateur, peut-être que “la montagne accouche d’une souris” et cette histoire de neuromythes mobilise facilement des fonds qui pourraient être investis ailleurs, et “fait couler beaucoup d’encre” pour pas grand chose.

Peut-être que l’intelligence des scientifiques, qu’elle soit simple ou multiple, pourrait être consacrée à plus urgent et plus utile.

Bref, “tout ça pour ça” ?

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