Qu’est-ce que la neuropédagogie ?

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Le 16 avril 2013, France 2 a consacré une partie de son journal de 20H à la neuropédagogie, ce qui a suscité quelques interrogations. Le présent article a pour objet d’éclairer le lecteur sur cette discipline.

 

Qu’est-ce que la neuropédagogie ?

 

Malgré l’absence d’un consensus clair sur la définition de ce mot, on peut estimer que la neuropédagogie est la rencontre entre la pédagogie et les sciences cognitives : neurosciences, psychologie, philosophie. Elle vise principalement à renforcer l’efficacité de l’apprentissage (intellectuel, manuel) et de l’enseignement en analysant et intégrant de nombreux paramètres, biologiques aussi bien que psychologiques. Discipline systémique qui fait le lien entre « l’ordinateur » (le cerveau) et les « logiciels » (connaissance, compétence, savoir, savoir-être, information…), son champ d’application est donc large.

Voici quelques exemples non limitatifs :

– Développement des capacités cognitives : mémoriser, raisonner, être créatif, motiver, planifier, être attentif, etc.

– Prévention du déclin cognitif dû à l’âge

– Amélioration de la capacité d’apprentissage (intellectuelle et manuelle), de la solidité des connaissances, de la transformation d’une information en connaissance, d’une connaissance en compétence. Elle s’applique à toute discipline, de la maternelle au supérieur en passant par la formation professionnelle.

– Développement de l’efficacité des pratiques sportives via par exemple le recours à l’imagerie mentale dont l’efficience pour simuler des gestes et situations est connue depuis longtemps, mais aussi l’inhibition des gestes non désirés, la rapidité dans la prise de décision, etc. Sans oublier les entraîneurs via aussi le développement de l’imagerie mentale ou de la mémoire de travail, et du lien entre la mémoire de travail et les mémoires à long terme.

– Prévention des risques professionnels et domestiques : en améliorant l’attention par des exercices spécifiques, on peut contrebalancer l’effet de l’habituation (diminution de la réponse à un stimulus) qui conduit à être naturellement moins attentif lorsqu’on est en terrain connu, et du déclin cognitif. Par exemple, lorsqu’on fait un long trajet, les accidents de voiture se produisent le plus souvent dans les derniers kilomètres qui nous séparent de notre domicile (on relache l’attention) ou lorsque la route est connue. En entreprise, les accidents se produisent aussi lorsqu’on relache l’attention ou lorsqu’on n’est pas assez formé.

– Audit des formations pour les rendre « brain friendly »

– Constitution d’une organisation apprenante : analyse de la circulation de l’information (un client, un employé peuvent être une information), des relations entre les informations, mise en place d’un espace brain friendly (l’open space est par exemple déconseillé aux 40 ans et plus, et il existe des immeubles « brain compatible » qui améliorent la productivité), motivation, etc.

 

 

La neuropédagogie est-elle une discipline nouvelle, quelles sont ses sources ?

 

La neuropédagogie est une discipline émergente dans le sens où elle laisse une part égale à la pédagogie, à la psychologie, aux neurosciences. C’est là que réside son originalité et sa puissance. En effet, depuis la division disciplinaire du XIXè siècle, chaque discipline répond à un problème précis (lui-même divisé en sous-problèmes) qui découle de trois grandes questions : qui somme-nous ? que faisons-nous ? comment est notre environnement ? Ce faisant, chaque discipline va plus ou moins se spécialiser pour répondre au problème (ou problématique) et développer des outils spécifiques (outils matériels mais aussi protocole, méthode, etc.) pour tenter de le résoudre. Seulement, certains problèmes ne peuvent être résolus par une discipline seule et doivent recourir à l’interdisciplinarité basée sur l’approche systémique, en complément (et non en opposition) de l’approche analytique.

 

Mais la neuropédagogie est également une discipline ancienne parce que la plupart des concepts et outils employés existent depuis longtemps. Elle puise ses racines dans une longue histoire, comme nous le rappelle avec talent Tracey Tokuhama-Espinoza que je salue amicalement.

 

Les grands pédagogues tels que les professeurs Philippe Meirieu, André Giordan, Jean-Pierre Astolfi, Gérard de Vecchi et bien d’autres avec eux sont à la base de nombreux concepts employés en neuropédagogie. Il faut donc leur rendre un hommage légitime. La neuropédagogie est essentiellement de la pédagogie. Elle la revisite à l’aune des sciences cognitives.

 

Par exemple, dans Apprendre, oui mais comment, Philippe Meirieu avait écrit ; « Le cours organisé selon le modèle identification (repérer les informations) – signification (comprendre les informations) – utilisation (résoudre des exercices) est contre la nature des processus mentaux. En effet, une information n’est identifiée que si elle est associée à un projet d’utilisation intégrée dans la dynamique du sujet et que c’est ce processus d’interaction entre l’identification et l’utilisation qui est générateur de signification, c’est-à-dire de compréhension ». Ce exemple nous prouve que les pédagogues s’intéressaient déjà aux processus mentaux, à la psychologie cognitive.

 

La neuropédagogie est une discipline systémique. Par conséquent, elle s’inspire fortement des travaux de Blaise Pascal, Von Bertalanffy, Edgard Morin, Jean-Louis Le Moigne, Joël de Rosnay, etc. Cela signifie que la neuropédagogie entretient une vision globale, holistique, de l’individu (et pourquoi pas des organisations) apprenant; elle étudie les relations englobantes.

 

Le Mind Map ou carte mentale (parmi d’autres noms) que l’on a vu dans le reportage de France 2 est un organigramme. A cet égard, les arbres généalogiques sont des cartes mentales. Le Mind Map a été par la suite popularisé par Tony Buzan dans ses multiples livres. Dans le milieu de l’entreprise, on utilise les cartes mentales depuis très longtemps. Le milieu de l’enseignement s’y est mis tardivement. Cependant, les études scientifiques sur l’efficacité des cartes mentales sont rares, et aucune n’a pu démontrer de manière évidente qu’on mémorisait et apprenait mieux avec elles ; les différences entre les groupes de contrôles et les groupes tests étaient mineures. Et il existe même une étude comparative sur trois approches qui a placé le Mind Map en dernière position quant à l’efficacité des méthodes d’apprentissage. Le New York Times s’en est fait l’écho en 2011. Pour information, le groupe qui a le mieux performé aux examens, est celui où pendant la phase d’apprentissage on se questionnait immédiatement après avoir appris une notion nouvelle. Ce qui est important et efficace, c’est essentiellement l’organisation et la transformation des données, que l’on peut obtenir par d’autres moyens comme le résumé ou la synthèse. Dès qu’il y a personnalisation d’un stimulus, il y a appropriation dudit stimulus, donc apprentissage. Donc, oui, la carte mentale est efficace pour apprendre, pas parce que c’est une carte mentale, mais parce qu’elle oblige à faire un travail de transformation. Ceci dit, avez-vous noté une ressemblance entre l’organisation des neurones et l’organisation des données dans le Mind Map ? Un travail sur cette analogie permettrait à mon avis de renforcer considérablement l’efficacité des schémas heuristiques.

 

Le fait qu’on ne puisse rien apprendre de nouveau qui ne soit ancré sur ce qui est déjà connu est aussi un concept très ancien. Rappelons-nous l’histoire d’Helen Keller, une jeune aveugle-muette et sourde qui « découvre la relation entre le signifié eau et le signifiant e-a-u lorsque son institutrice (Miss Sullivan) fait couler de l’eau fraîche dans sa main gauche et trace le mot e-a-u dans sa main droite, en répétant ce geste de plus en plus vite. Cette enfant évoque alors le mot e-a-u, et l’associe à l’eau fraîche. Elle comprend, elle prend (prehendere) avec elle (cum). La répétition des gestes de Miss Sullivan a entraîné la reprise mentale de la succession des impressions tactiles déterminées par les gestes de Miss Sullivan. Cette reprise mentale constituait l’évoqué qui, en vertu de la nature du projet, convoque à évoquer l’actuelle fraîcheur de l’eau. Nous assistons ici à la découverte par intuition du rapport du signe et du signifié. Cette découverte ne peut se faire que si le sujet est mentalement en situation de projet de comprendre, ce qui était le cas d’Helen Keller. » (Antoine de la Garanderie, Comprendre et Imaginer). Dans ce cas précis, Helen Keller ne pouvait lire (elle était aveugle) le mot eau, et on ne pouvait le lui dicter (elle était sourde). Comment dans ce cas comprendre le nouveau (le mot eau) ? En passant par l’ancien, c’est-à-dire par la capacité à comprendre par le toucher. Et une fois qu’on a effectué une relation entre l’eau et le mot eau écrit sur la main, on peut procéder de la même façon avec une pomme, une plume et se constituer ainsi un vocabulaire qui s’enrichira progressivement.

 

Un second exemple, plus personnel, pour expliquer qu’on ne peut rien apprendre de nouveau qui ne soit connecté à ce qui est déjà connu. Il y a quelques années, alors que j’encadrais un stage de neuropédagogie à l’établissement privé catholique Notre Dame La Riche, j’ai eu dans mon groupe un élève fortement dyspraxique. Il ne parvenait pas à faire les Mind Map parce qu’il lui était impossible de trouver le centre de la feuille. Comment résoudre ce problème ? En partant de ce qu’il savait faire, c’est-à-dire de l’ancien.

  • Je lui ai demandé de mettre sa main sur sa poitrine et d’être attentif aux battements de son cœur, afin d’avoir la notion du temps, donc du rythme, et de compter à voix haute chaque pulsation.
  • J’ai ensuite pris une feuille A4 et j’ai tracé une diagonale. Une fois que ce garçon a eu la notion du temps, de son propre temps, je lui ai demandé de placer sa main droite sur le coin supérieur droit de la feuille et sa main gauche sur le coin inférieur gauche de la feuille, et de les rejoindre au même rythme, en épousant le parcours de la diagonale.
  • J’ai pris une autre feuille, et j’ai tracé une diagonale qui rejoignait le côté supérieur gauche de la feuille au côté inférieur droit, et le garçon a recommencé l’exercice comme précédemment.
  • J’ai pris une troisième feuille et tracé une médiane qui séparait la feuille dans sa largeur, puis une quatrième feuille et tracé une médiane qui séparait la feuille dans sa longueur.
  • Ces différents exercices ont permis à l’élève de trouver le centre.
  • Après plusieurs essais, je lui ai tendu une autre feuille A4, sans lignes. Il a trouvé le centre.
  • Et cela l’a beaucoup aidé en géométrie, tout en améliorant sa capacité à coordonner ses membres supérieurs.

 

L’apport des neurosciences, et notamment de la plasticité synaptique, vient valider ce concept sur le plan cellulaire : les neurones s’associent pour former des réseaux ; plus ils communiquent, plus solide sera le réseau.

 

L’apprentissage par association est aussi ancien, nos aïeux faisaient des nœuds au mouchoir pour se souvenir de ce qu’ils devaient faire.

 

Les images mentales étaient aussi connues avant les neurosciences et la neuropédagogie. On retrouve le concept d’images mentales en psychologie, en PNL (Programmation Neurolinguistique), en Gestion Mentale (dont le fondateur est le regretté Antoine de la Garanderie) et même chez le Docteur Roger Vittoz qui les utilisait pour traiter les dépressions. Ce qui est assez amusant, c’est que suite à une étude qui comporta de nombreux biais, l’Education Nationale abandonna la Gestion Mentale, déclarant qu’elle n’était d’aucune utilité aux élèves, alors que bien de ses concepts ressurgissent aujourd’hui. Dans le reportage de France 2, on a vu des élèves du primaire apprendre la lecture les yeux bandés avec des lettres en relief. Cela fait très longtemps que certains praticiens en Gestion Mentale procèdent de cette façon, et les orthophonistes utilisent aussi ce genre d’outils. Je me souviens avoir utilisé cela il y a plus de 15 ans. Et d’ailleurs, très sincèrement, c’est Louis Braille qui, au XIXè siècle, a inventé la lecture tactile. Il n’y a donc absolument rien de nouveau. Plus un stimulus est riche, mieux on s’en souvient. Donc, ajouter le toucher à l’ouïe à la vue donne effectivement de meilleurs résultats, pour toutes les formes d’apprentissage.

 

Les écoles Montessori, Freinet, Waldorf, certains enseignants de l’Education Nationale ou des établissements privés de l’enseignement catholique utilisent également depuis longtemps des concepts repris en neuropédagogie, comme avoir le sens de l’abstraction en partant du concret. En effet, pour avoir le sens d’un cube puis accéder en mathématiques au sens de 3 au cube, il faut fabriquer et manipuler un cube. De plus, en accédant au sens de l’abstraction par le concret, on relie l’ancien (le concret) au nouveau (l’abstrait). De nombreux élèves ne maîtrisent pas l’abstraction, sans doute sont-ils trop prisonniers de la civilisation technique, l’usage effréné de la calculatrice en est un exemple. Avant de s’adonner aux apprentissages qui nécessitent de manipuler l’abstraction (comme la philosophie et les mathématiques), il faut apprendre le sens de l’abstraction. Cela peut passer, par exemple, par l’interprétation de l’art abstrait.

 

Les neurosciences sont à ce jour des sciences essentiellement fondamentales destinées à la recherche pure, et même de nombreux concepts utilisés en neuromarketing ou neuromanagement sont connus depuis longtemps par les sciences expérimentales et comportementales (comme la psychologie et la phénoménologie). Mais dans une société techno-scientifique, rajouter le préfixe neuro_ est plus vendeur, cela correspond à « l’ère du temps ». Il ne faut surtout pas croire que les neurosciences sont la science ultime. En effet, les phénomènes qui se passent à l’échelle du neurone ne peuvent se traduire automatiquement à l’échelle de l’individu, encore moins à l’échelle sociale: à chaque échelle se produit des interactions nouvelles qui ne peuvent refléter totalement celles qui prévalaient à l’échelle inférieure. Dans mes échanges avec des neuroscientifiques, il m’est apparu le sentiment (peut être subjectif et faux, puisqu’il s’agit d’un sentiment, non le fruit d’une étude rationnelle) que les neurologues étaient beaucoup plus prudents que les psychologues quant à l’état des connaissances sur le cerveau.

 

 

La neuropédagogie est-elle une méthode ?

 

Si la neuropédagogie est une méthode, alors marcher, penser, respirer sont aussi des méthodes. Non, la neuropédagogie n’est pas une méthode et personne ne l’a inventée. En revanche, cette discipline peut conduire à la création de méthodes.

 

 

Qui a introduit la neuropédagogie en France ?

 

Aussi loin que je me souvienne, c’est Hélène Trocme-Fabre qui a introduit la neuropédagogie en France, via son livre J’apprends, donc je suis, introduction à la neuropédagogie. Un livre publié en 1987 mais qui est toujours d’actualité. Dix ans plus tard, Bruno Hourst publie Au bon plaisir d’apprendre, un livre fort intéressant  (mais avec quelques passages exotiques) qui traite des pédagogies nouvelles. Il faut également citer mon ami Alain Sotto, président de l’Association de Recherche en Neuropédagogie, auteur de plusieurs ouvrages sur l’apprentissage, et responsable du site www.cancres.com.

 

 

Quelles sont les formations en neuropédagogie ?

 

A ce jour, il n’existe en France aucune formation universitaire diplômante en neuropédagogie. En revanche, il existe des formations en sciences cognitives et en éducation proposées par différentes universités ; c’est globalement de la neuropédagogie sous d’autres noms, même si l’approche n’est pas tout à fait la même.

 

On pourra aussi consulter le site www.coursera.org, un Mooc qui propose des formations universitaires dans de nombreux domaines, avec délivrance de certificats, y compris en sciences cognitives et en neurosciences. Ce genre de site préfigure à mon humble avis un changement de paradigme dans la valeur des diplômes aussi bien que dans le cursus pour acquérir connaissances et compétences. Chacun puisera ce qu’il veut pour se former, un peu à la manière des universités américaines dites des Arts Libéraux.

 

Le site du Collège de France propose d’accéder gratuitement aux cours (vidéos, enregistrements sonores et documents écrits) de Stanislas Dehaene, un scientifique remarquable qu’on ne se lasse pas d’écouter et de lire. Tous ses livres sont des enchantements.

 

Le professeur Dehaene ainsi que le professeur Olivier Houdé et leurs équipes respectives sont à mon avis les pionniers dans la formalisation de la neuropédagogie en France.

 

Je propose également des formations en neuropédagogie, pour formateurs, enseignants, ainsi que pour apprenants. J’ai formé des enseignants de l’enseignement catholique, de nombreux apprenants de l’enseignement catholique et divers formateurs. Ce sont naturellement des formations rigoureuses de qualité, efficaces et exploitables au quotidien. N’hésitez pas à employer la rubrique contact.

 

 

La neuropédagogie est-elle efficace ?

 

Oui, la neuropédagogie est efficace, mais il faudrait l’évaluer avec des méthodes scientifiques, ce qui n’a jamais été fait. Et il faudrait également évaluer les évaluations, parce que les outils de mesure et d’évaluation sont souvent biaisés dans les « sciences molles ».

 

Par conséquent, évaluer l’efficacité de la neuropédagogie d’un point de vue scientifique doit s’inscrire dans une critique objective de la science et de l’évaluation. J’ai écrit un article qui mélange des informations avec des cas pratiques et des tests  pour comprendre combien il est difficile d’évaluer objectivement.

 

En effet, pour mesurer scientifiquement l’efficacité de quelque chose, il faut développer les outils appropriés pour évaluer, établir des groupes de contrôle et des groupes tests, avoir une taille de population suffisamment importante pour valider les protocoles de recherche, et tester encore et encore afin d’éliminer les multiples biais qui apparaissent tout au cours de la recherche. Il faut également varier les contextes. Pour l’enseignement par exemple, varier la taille des groupes (nombre d’élèves par groupe), l’âge, les disciplines, etc. Et ce qui est efficace à court terme l’est-il à long terme ? Ce qui est efficace avec l’un l’est-il avec l’autre ? Bref, évaluer est très complexe, très long et très coûteux.

 

Les évaluations scolaires et universitaires sont elles-mêmes très imparfaites comme le rappelle Hélène Trocme-Fabre :

 

« L’institution et le système scolaire attachent une importance beaucoup plus grande aux résultats qu’au processus d’acquisition des connaissances. Les exercices demandés aux apprenants sont trop souvent choisis pour la facilité du contrôle et non pour leur rôle dans la progression de l’apprenant vers un objectif d’apprentissage.

La deuxième cause de la faille est la résistance au changement. L’apprenant doit accepter de réorganiser son propre système de représentation du monde extérieur. […]

La troisième cause du décalage observé entre les ressources des apprenants et leurs réalisations, est l’infosphère caractérisée par une explosion d’informations visuelles et auditives, et une nouvelle orientation des unes et des autres. »

Hélène Trocme-Fabre, J’apprends, donc je suis, introduction à la neuropédagogie

 

Les résultats scolaires ne mesurent donc que très imparfaitement le savoir et les connaissances d’un apprenant. A l’écrit comme à l’oral, ceux-ci cherchent d’abord à interpréter l’énoncé, avec toutes les erreurs d’interprétation que cela entraîne. Par conséquent, avant de mesurer l’état du savoir d’un apprenant, on mesure sa compétence à savoir ce qu’on attend de lui. Pour avoir appliqué les techniques d’entretien d’explicitation sur plusieurs centaines d’apprenants afin de connaître leurs processus mentaux dans l’apprentissage, je me suis aperçu, par exemple, qu’ils scrutaient le visage de l’examinateur pour y déceler les signes d’approbation (l’apprenant est sur la bonne voie) ou de désapprobation (l’apprenant fait fausse route). Or, dans l’un de ses livres, Eric Jensen nous apprend que les adolescents se trompent dans la lecture des émotions, et ne peuvent donc interpréter correctement l’expression d’un visage. Un apprenant qui a la bonne réponse donne régulièrement, à l’oral comme à l’écrit, une mauvaise réponse parce qu’il croit que c’est celle qu’attend l’examinateur ! Et l’examinateur de conclure à tort que l’apprenant ne connaît pas son cours. Il faut donc se méfier de la performance observable.

 

Le test dit de Qi (en réalité, il existe plus de 200 formes de tests d’intelligence), qui a pourtant plus de 100 ans (plusieurs centaines d’années si on considère que ce sont les Chinois qui l’ont inventé pour recruter le meilleur personnel administratif) et mobilise des milliers de psychologues et de chercheurs est loin d’être parfait. Il est d’ailleurs régulièrement révisé. Les psychométriciens (psychologues spécialisés dans la mesure de l’esprit) et autres psychologues se divisent sur le sens à donner aux tests de Qi. Mesurent-ils l’intelligence, où infère-t-on une certaine forme d’intelligence à partir d’une performance observable aux tests ? Les tests ne permettent pas de savoir ce qui se passe dans la tête du candidat et qui pourrait expliquer une faible performance. J’ai ainsi découvert grâce à la technique de l’entretien d’explicitation et au dialogue pédagogique qu’un garçon de 10 ans dont les tests effectués par un neuropsychologue avaient objectivé un faible empan verbal de la mémoire de travail voyait dans sa tête tantôt des pieuvres à 8 tentacules lorsqu’il entendait le chiffre 8, tantôt un camion à 8 roues, ou toute autre fantaisie de ce genre, pour tous les chiffres qu’il pouvait lire ou entendre. Mieux encore, à partir de ces images mentales visuelles, il comptait individuellement les tentacules ou les roues. En fait, il n’avait pu prendre ses distances avec les méthodes de lecture qui présentent ce genre de fantaisies. On comprendra que dénombrer à partir de ses images mentales visuelles prend un certain temps et ne permet pas de se souvenir d’une suite numérique et verbale. Dès que cet enfant a compris qu’il ne fallait pas compter individuellement les tentacules ou les roues des items qu’il se représentait mentalement et dès qu’il a pu être rééduqué, il n’a plus eu de problèmes scolaires. Les tests de Qi sont certes utiles mais ils ne reflètent pas toute la réalité de ce que l’on nomme « intelligence ». Là encore, la performance observable est sujette à caution.

 

Egalement, les neurosciences s’appuient sur les techniques de neuroimagerie, très imparfaites, qui donnent l’impression de la vérité. Pour un nombre croissant de scientifiques, la neuroimagerie s’apparente à de la phrénologie quand d’autres comme Nikos K. Logothetis, directeur du Max Planck Institute ne vont pas jusque là mais mettent en garde contre l’emploi irraisonné de ces techniques. Par conséquent, il faut être très prudent avec toutes les conclusions qui découlent de l’emploi du fMRI. Les techniques de neuroimagerie donnent une carte imprécise du cerveau, pas le territoire et la modélisation statistique comme la méthodologie sont sujettes à caution. On ne sait pas ce qu’on pense, comment on pense, et Gerald M. Edelman cherche toujours la conscience. Rappelons qu’on ne peut observer que ce qui est observable, quand le regard de l’observateur influence l’objet observé, la toujours actuelle relation philosophique entre l’objet et le sujet, que la science ne peut résoudre. Deux photographes qui prennent une photographie du même paysage avec le même appareil prendront deux photographies différentes. L’observateur et l’expérimentateur influencent la Réalité. Observation imparfaite et interprétation imparfaite de la Réalité observée doivent nous conduire à la prudence et au doute en toutes circonstances.

 

Prudence et doute y compris dans les expériences menées en laboratoire, un milieu parfait et contrôlé qui ne reflète pas la richesse des interactions possibles dans la nature, la diversité du Vivant et les innombrables secrets qu’il recèle encore. Si vous préleviez un poisson et que vous l’analysiez en laboratoire, vous n’analyseriez pas un poisson, mais un poisson dans un laboratoire. Vous ne sauriez rien des relations qu’il entretient avec son milieu, c’est l’approche systémique qui pourrait vous donner ces informations, pas l’approche analytique. C’est en quelque sorte ce qu’avait déjà écrit John Steinbeck dans The Log from The Sea of Cortez.

 

Par conséquent, même si la neuropédagogie se veut une approche scientifique de l’apprentissage, la science n’est pas une religion, et il existe très peu de vérités absolues, ce qu’admettent volontiers les scientifiques. D’autre part, les scientifiques sont des hommes comme les autres, sujets aux multiples travers humains. Aussi faut-il être critique et douter de toute étude scientifique, surtout de l’usage qu’en font les médias qui n’approfondissent pas assez leur sujet, par manque de temps. En général, les résultats des études scientifiques les plus sérieuses sont publiées dans des revues à comité de lecture, mais naturellement cela ne signifie pas que les autres études ne sont pas valides. En fait, c’est très compliqué, et il faut rendre hommage à tous les scientifiques.

 

Ceci dit, pour pratiquer la neuropédagogie depuis très longtemps, il m’apparaît clair que cette approche est plus efficace pour plusieurs raisons.

 

D’abord, elle est parfaitement adaptée à notre civilisation techno-scientifique, aussi emporte-t-elle l’adhésion des apprenants qui baignent déjà dans cette culture. C’est un point important parce qu’une approche culturellement inadaptée suscite des résistances très importantes.

 

Ensuite, chacun d’entre nous cherche à se connaître et à se positionner par rapport à autrui, surtout les adolescents. Expliquer le peu que l’on connaît du fonctionnement du cerveau rassure et développe la motivation. En effet, si chaque apprenant sait qu’avec un travail régulier et constant, ses circuits neuronaux se modifient sous l’effet de la plasticité synaptique, il doute moins de ses capacités intellectuelles et se met plus volontiers au travail. Sachant qu’on ne peut rien apprendre de nouveau qui ne soit connecté à l’ancien, il va plus volontiers combler ses lacunes en reprenant, sur son temps personnel, le programme des années antérieures qui n’a pas été assimilé.

 

Egalement, la neuropédagogie offre quantités de conseils exploitables pour mieux apprendre, mieux comprendre et mieux réussir ce que l’on fait, y compris hors du champ de l’apprentissage, comme je le montrerai.

 

Si dans de nombreux cas, les apprenants de tout niveau appliquent la neuropédagogie, ils auront vraisemblablement à terme de meilleurs résultats scolaires et universitaires. Mais si les enseignants et formateurs appliquent l’approche neuropédagogique, l’effet en sera magnifié. Et plus encore si l’institution scolaire se réforme profondément en introduisant la neuropédagogie et l’apprentissage systémique, comme l’appelle de ses vœux Joël de Rosnay. Attention cependant : nous sommes tous différents, on ne progresse pas à la même vitesse, et nous sommes même génétiquement capables de comprendre certaines choses, pas d’autres. Par conséquent, quelle que soit l’approche, les différences individuelles seront toujours présentes.

 

En 2008, j’ai commencé à donner des cours de neuropédagogie lors de stages de pré-rentrée à Notre Dame La Riche à des élèves comme à leurs parents, à raison de 6h par jour pendant quelques jours, trop peu cependant pour bien maîtriser les moyens de mieux apprendre ; il y a tant de choses à voir. Mais pendant que les camarades étaient encore en vacances sous le soleil d’août, ces apprenants (de tout niveau, de tout âge) venaient s’enfermer dans une salle de classe avec leurs parents (dont des enseignants de primaire, secondaire, supérieur) ! Bien entendu, initialement, les apprenants ne souhaitaient pas être là. Mais très vite, ils se sont presque tous intéressés. Ils ont découvert ce qu’était apprendre. Ils se battaient pour apprendre les bases du russe, mémoriser une carte de géographie, faire des maths, de la logique, réfléchir à des problèmes, apprendre à apprendre, etc. Et les parents étaient encore plus intéressés ! Remarquons que malgré les différences d’âge, il n’y avait nulle moquerie ; au contraire l’harmonie régnait. Depuis, j’organise dans cet établissement des stages pendant les différentes vacances scolaires, sur des thèmes variés : apprendre à apprendre, français, langues, maths, etc. Et invariablement, les apprenants manifestent la même joie (à quelques exceptions près), le même désir d’être là, alors que leurs camarades sont en vacances !

 

Fort heureusement, on peut être un formateur efficace sans employer la neuropédagogie, et un apprenant qui travaille sérieusement, limite fortement la télévision et prend plaisir à ce qu’il fait réussira dans ses études.

 

Enfin, n’oublions pas que plus on apprend, plus on veut apprendre, et plus on s’aperçoit qu’on ne sait pas grand-chose. Et cela, c’est peut-être la seule vérité.

 

Pour approfondir

 

Pour en savoir davantage sur la neuropédagogie, je vous conseille de lire l’histoire des sciences de l’apprentissage partie 1 et partie 2.

Egalement, vous pouvez lire neuropedagogie et systémie : un exemple d’application où je fais un parallèle entre le système d’apprentissage de Kolb et la systémie sur fond de cours de mathématiques et de langue.

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