Enseigner dans le Supérieur – entretien avec Jean-François Parmentier

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Après m’être entretenu avec Quentin Vicens, coauteur « d’Enseigner dans le Supérieur – Méthodologies et pédagogies actives », c’est Jean-François Parmentier qui m’a fait l’amitié de répondre à quelques questions. On découvrira la genèse du livre, la place de l’autodidaxie dans la formation, un parcours pour utiliser au mieux cet ouvrage, et on terminera par l’importance pédagogique du forum dans les apprentissages en ligne.

 

Pascal Roulois. Jean-François, en juin 2019 tu as publié avec Quentin un livre magnifique qui donne aux enseignants comme aux formateurs des conseils et pistes pratiques pour améliorer son enseignement. Ce livre est « Enseigner dans le supérieur – Méthodologie et pédagogies actives », paru chez Dunod. Qu’est-ce qui t’a motivé à écrire ce livre ? Quelles questions t’étaient tu posées ?

Jean-François Parmentier. Lorsque j’ai changé de thématique, il y a 6 ans environ, j’ai dû tout apprendre sur l’enseignement et l’apprentissage. Les publications et les livres de synthèse des résultats de la recherche étaient mes sources d’informations principales. J’ai eu l’impression d’apprendre vraiment le métier d’enseignant (avant, je faisais cela en amateur, au feeling en me reposant sur mes croyances). Je me suis très vite rendu compte que toutes ces informations étaient totalement inconnues des enseignants-chercheurs et même des enseignants du secondaire. Et de très nombreux livres que j’avais lus étaient uniquement disponibles en langue anglaise.

J’ai rencontré rapidement Quentin et Iannis Aliferis (un collègue de l’Université Côte d’Azur) qui se basaient sur les mêmes approches pédagogiques que moi et la même bibliographie. Ils avaient pour projet d’écrire un livre ensemble. D’un point de vue personnel, j’adore les « livres de contenu », c’est-à-dire ceux qui t’apprennent des choses. J’en lis énormément et pour moi en écrire un c’était un peu un rêve d’enfant. Je les ai donc rejoints dans leur projet. Au final, Iannis n’a pas pu trouver le temps de l’écrire, donc on est resté à deux auteurs.

J’avais deux questions au début de l’écriture : 1) est-ce que j’aurai assez de choses intéressantes à dire pour écrire un livre complet (ou plutôt un demi-livre) ? Et 2) est-ce que je suis vraiment sûr de ce que j’écris ? Ces deux questions étaient intimement liées : j’étais très expert sur des sujets très particuliers (autour de l’activité en classe, du numérique éducatif et de la mesure), et j’avais des connaissances générales sur bien d’autres sujets. Écrire ce livre m’a forcé à élargir mon spectre de compétence, car je m’imposais la contrainte suivante : être « pro » pour chacun des thèmes abordés. C’est-à-dire refaire une revue bibliographique ou s’appuyer sur des synthèses fiables pour tous les sujets. Au final, j’en ai conclu ceci : « ce ne sont pas les experts qui font les livres, ce sont les livres qui font les experts ». J’ai donc énormément appris en écrivant ce livre ! Bon on le savait un peu déjà : c’est en enseignant qu’on comprend bien mieux ce qu’on enseigne.

Ah oui, j’avais une troisième question aussi : est-ce que je vais bien m’entendre avec Quentin ? Car nous n’avions jamais travaillé ensemble, je n’avais jamais rien lu de lui ni ne l’avais vu faire des présentations ou des formations. Mais j’avais confiance en Iannis et Iannis avait confiance en Quentin, donc par transitivité, comme on dit en math, j’ai tenté le coup. Et bingo ! Ça a super bien accroché.

 

P.R. Je peux t’affirmer que le contenu de ton livre est solide et inspirant, et c’est normal au vu de la pertinence de la remarquable bibliographie en fin d’ouvrage, qui permet aux lecteurs d’approfondir la connaissance des 38 outils pratiques que tu exposes. Dans un échange privé, André Quinton, fondateur du CRAME (Centre de Recherches Appliquées en Méthodes Éducatives) de l’Université de Bordeaux, m’a dit que tout enseignant est avant tout un autodidacte. Comme désormais auteur dans le domaine de la pédagogie, et comme formateur d’enseignants, valides-tu cette position ? Elle me paraît paradoxale dans le sens où ceux qui enseignent à enseigner sont ceux qui apprennent par eux-mêmes. Peux-tu lever le paradoxe ?

J-F. P. Vaste question ! Je ne peux évidemment pas savoir ce que voulait dire André Quinton à ce moment-là, mais il me semble que l’on peut interpréter son propos d’au moins deux manières différentes.

1) On observe que les enseignants sont des autodidactes. Cela veut dire qu’ils ne suivent pas de cours sur « comment enseigner » et se débrouillent par eux-mêmes pour apprendre comment faire. Ce phénomène pourrait s’expliquer soit par une excellente formation initiale qui leur donne les clés pour aller chercher, analyser, critiquer, évaluer les différentes sources d’informations autour de l’enseignement. Ou au contraire par une formation initiale de faible qualité et une formation continue quasi inexistante qui ne répond pas aux problèmes qu’ils rencontrent quotidiennement. Dans ce cas, laissé un peu à l’abandon, ils vont chercher par eux-mêmes différentes sources d’inspiration. Si l’on se fie au rapport de 2018 du groupe de travail Formation et Ressources du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale, c’est malheureusement cette dernière option qui semble être la réalité pour les enseignants du primaire et du secondaire ! Et concernant les enseignants-chercheurs du supérieur, le constat n’est pas meilleur : une formation initiale n’est obligatoire que depuis 2017 et la formation continue n’est ni incitée, ni reconnue dans l’évaluation de carrière.

2) Autre interprétation possible : pour enseigner efficacement, il faut être un expert du « comment on apprend ». Ainsi, les enseignants auraient donc une connaissance des stratégies d’apprentissages efficaces et sauraient les relier aux savoirs établis sur le fonctionnement du cerveau. Bref, des autodidactes éclairés. Si l’on prend le cas des enseignants-chercheurs, il est clair qu’ils utilisent empiriquement au quotidien les méthodes d’apprentissage les plus efficaces car ils sont les créateurs des nouveaux savoirs, donc les autodidactes ultimes. Mais ils n’ont pour la plupart pris aucun recul sur le « pourquoi » ils utilisent telle ou telle méthode. Ils font cela de manière non consciente (excepté bien sur des chercheurs en psychologie). Bref, cette interprétation est plutôt de l’ordre de ce qui devrait être plutôt de ce qui est !

Si j’analyse maintenant mon cas particulier, j’ai vraiment appris à enseigner en autodidacte. Anciennement chercheur en sciences, je n’avais aucune connaissance et aucune formation sur l’enseignement. Mais c’est lorsque j’ai découvert l’immense bibliographie à laquelle tu fais référence que j’ai appris à enseigner. Oui, j’ai appris en autodidacte. Mais honnêtement, j’aurais préféré suivre des formations solides sur ces sujets et pouvoir interagir au quotidien avec des experts.

 

P.R. Chacun des 38 outils pratiques que tu proposes ne dépasse pas 8 pages. Peux-tu proposer un parcours sur les 5 ou 6 premiers outils à découvrir, en expliquant succinctement ton choix ? Je pense que cela pourrait aider un enseignant ou formateur débutant ou encore un expert métier.

J-F. P.À mon avis l’outil par lequel commencer est le 21, sur l’usage des dispositifs de vote. Il est pertinent dès lors que l’on doit faire passer une idée, c’est-à-dire dès que l’on souhaite enseigner ! Le principe est celui que l’on défend dans tout le livre : pour qu’une idée soit réellement comprise, il faut nécessairement faire réfléchir les apprenants sur celle-ci.

Cet outil fait appel à l’outil 32, qui donne des conseils pour écrire une bonne question à choix multiple, que je conseille donc de lire ensuite.

Puisqu’on réunit des apprenants au même endroit et au même moment, alors autant en profiter ! L’outil 24 donne des repères pour augmenter l’efficacité d’un travail en groupe et l’outil 23 propose une solution pour faire débattre les participants entre eux, même si l’on est dans un amphi.

Il y a toujours un moment où un apprenant vous posera une question sur un point qu’il n’a pas compris. Comment lui répondre ? C’est le cœur de l’outil 15, qui vous donnera des pistes pour aider sans faire à la place.

Voilà les 5 premiers outils par lesquels je proposerai de commencer. J’aimerais cependant rajouter l’outil 36 qui propose une sorte de « manuel d’autodéfense pédagogique ». Alors que de plus en plus sont célébrées et relayées toutes sortes d’innovations pédagogiques, cet outil propose une grille d’analyse qui permet de faire rapidement le tri dans tout cela, pour repérer ce qui vaut vraiment la peine que l’on s’y intéresse et que l’on teste dans nos propres cours.

Ce parcours autour de 6 outils concerne l’action. J’aimerais aussi proposer une lecture alternative du livre, qui ne repose pas sur les outils et que j’appellerai le parcours de la réflexion. Il permet de saisir l’esprit du livre en 12 pages et je pense qu’il pourrait même être lu par une personne qui n’enseigne pas, mais intéressée par le sujet.

Ce parcours commence avec l’avant-propos, où l’on peut y trouver les grands principes découverts par les chercheurs à propos de l’apprentissage et de l’enseignement. Puis viennent ensuite les introductions de chacun des dossiers qui expliquent notre vision de l’acte d’enseigner : définir des objectifs, considérer les étudiants à la fois en tant qu’apprenants, mais aussi en tant qu’individus, faire réfléchir les étudiants en cours, repenser les temps et les lieux pour enseigner et enfin évaluer pour améliorer. Ces 12 pages donnent à mon avis un bon aperçu des messages que l’on souhaite faire passer et des grandes idées à retenir de ce livre.

 

P.R. Merci Jean-François pour ces passionnantes clefs de lecture où l’on perçoit bien que le livre est comme le cours : la réponse à une question. J’écris en ce moment des courts métrages et des fiches pratiques sur l’apprendre à apprendre pour une institution publique qui propose des MOOC. Et j’ai notamment attiré l’attention sur l’importance du forum comme instrument de construction des connaissances, alors que celui-ci est conçu comme moyen de communication. Ton outil 30, « des forums qui forment » donne des pistes concrètes et pertinentes. D’où une dernière question : conseillerais-tu à cette institution et à n’importe quelle organisation d’investir des moyens sur l’administration d’un forum tel que Quentin et toi le concevez ? En termes d’efficacité pédagogique, le retour sur investissement est-il à la hauteur d’autres pratiques ?

J-F. P. La question que tu évoques est celle de l’efficacité pédagogique d’une activité. Celle-ci peut se mesurer directement en fonction de la profondeur de l’apprentissage qu’amène l’activité en question, mais elle peut aussi se ramener en fonction d’un coût. Imagine une pédagogie qui fait apprendre énormément aux étudiants, mais où il faut 1 enseignant par étudiant (le fameux « 2 sigma problem » de Bloom). Un tel coût sera certainement prohibitif. Parmi les coûts, on peut notamment citer : le nombre d’enseignants par étudiant, le temps de travail total des enseignants, le temps de travail total des étudiants et l’espace physique nécessaire pour l’activité. C’est là où par exemple l’apprentissage par les pairs (Outil 23 du livre) est très bon : les élèves apprennent mieux que dans un cours purement magistral et le coût de cette méthode est quasiment le même : 1 enseignant pour des centaines d’étudiants, un temps de travail pour l’enseignant identique (une fois le changement effectué) et c’est compatible avec les grands amphis (1m2/étudiant). Enfin, est-ce que le temps de travail d’un étudiant est différent ? Je pense que non. Je dirais surtout qu’il est plus efficace, car l’étudiant à des pistes sur quoi travailler (les questions posées en cours).

Pour revenir à ta question de l’utilisation des forums pour faire interagir les étudiants, tu as dû remarquer qu’il est conseillé dans le livre de séparer les étudiants par groupe d’une trentaine et d’interagir avec eux, voire d’évaluer les contributions de chacun des participants. À titre personnel, j’utilise ces forums dans les formations en ligne que j’ai conçues pour le CERFACS. Je sépare effectivement les participants en groupe d’une vingtaine, mais j’interviens très peu et je n’évalue pas les contributions. J’ai donc réduit le coût. Mais je pense que dans le cas d’une formation en ligne, la vraie question à se poser n’est pas celle du coût, mais : « Dispose-t-on d’autres méthodes pour faire interagir les participants entre eux ? ». Comme tu le sais, l’apprentissage est potentiellement très fort si les participants interagissent entre eux (cf. le fameux framework ICAP, que nous avons traduit par DGMR dans l’outil 4). Et surtout, quel est l’intérêt d’une formation en ligne ou des dizaines, centaines voire plusieurs milliers de participants se connectent simultanément s’il n’y a aucune interaction entre eux ? Si l’on ne fait pas vraiment interagir les participants entre eux, alors pas la peine de faire des MOOC ! De l’e-learning individuel est suffisant.

Donc oui, je pense que si l’on se lance dans un MOOC, nous devons faire interagir les participants entre eux. Et pas seulement pour dire « Je m’appelle Pierre, je suis très content d’être là. », mais pour les faire débattre sur des questions bien précises relatives au contenu de la formation. Dans mes formations en ligne, j’utilise aussi la plateforme elaastic (décrite dans l’exemple de l’outil 4). Elle permet de générer à coût quasi nul pour l’équipe enseignante des interactions limitées entre les participants via une évaluation par les pairs. Elle est très pratique, mais elle ne permet pas de réaliser des échanges argumentés. Je combine donc les deux outils : elaastic, pour des interactions limitées, mais ne coutant rien, et les forums, pour des interactions riches, mais demandant plus d’investissement de la part de l’équipe enseignante. C’est le concept d’ « optimisation pédagogique » : il y a des choses que l’on peut faire apprendre à 10 000 étudiants simultanément, et d’autres où il faut 1 enseignant pour 1 étudiant. À nous d’optimiser nos coûts pour maximiser l’apprentissage.

 

P.R. Jean-François, je te remercie chaleureusement pour cet entretien qui aura permis de faire connaître ton livre. Un livre qui s’adresse à tout enseignant, formateur ou encore expert métier, que ce soit dans le secondaire, supérieur et bien entendu dans la formation professionnelle. Et comme nous l’avons vu, « Enseigner dans le Supérieur, méthodologies et pédagogies actives » propose des clefs pour l’apprentissage présentiel et distanciel.

Note: vous pouvez reprendre tout ou partie de cet entretien pour le reproduire sur n’importe quel support, à trois conditions : ne pas modifier les propos écrits, établir un lien vers cette page, et reprendre la mention « publié initialement sur neuropédagogie.com »

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