Cinq clefs incontournables de l’apprentissage

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La mémoire verbatim d’un adulte, sa capacité à mémoriser exactement un texte, n’est pas aussi efficace que celle d’un enfant. En revanche, la mémoire adulte peut conserver les grandes lignes d’un énoncé avec une performance tout à fait satisfaisante, ce qui est le principal. Voici 5 éléments pour y parvenir, que l’on peut appliquer à tous les apprentissages.

 

Soit le poème suivant que j’avais écrit lors de mes premières jeunes années (pour l’heure, je débute à peine mes secondes). Un poème qu’aucun de vous n’a jamais lu, donc aucun de vous ne peut se reposer sur sa mémoire à long terme.

 

LE DICTATEUR

 

J’entends le pas des bottes meurtrières
Qui ont foulé une terre sacrée
Et parsèment les jardins de l’Enfer,
Mais sont perdues : rien ne peut les sauver.

 

J’entends le bruit des machines de guerre
Qui tuent la vie pour des milliers d’arpents,
Alors qu’un fou en maître solitaire
A décidé de jouer à Satan.

 

Je vois au loin ce démon aux mains sales
Semer la mort avec beaucoup d’amour ;
Comme il est laid, lui qui se croit si mâle,
Lorsqu’il sourit de voir trembler le jour.

 

Je vois encore une ville qui brûle
Dans ce pays où le sang coule à flots ;
La vie s’échappe et les morts s’accumulent ;
C’est comme un jeu, mais il est bien trop sot.

 

L’espace d’un soir, les rêves reprennent,
Si noire est la nuit que dorment les chaînes,
Seuls les assassins n’ont pas de repos :
Il faut pour demain de nouveaux tombeaux.

 

Quand l’aube revient, les rêves s’envolent ;
L’odeur de la chair, charriée par Eole
Meurtrit ce pays sans plus oublier
Que même les nuits la mort peut frapper.

 

Le sang du silence appelle leur glaive,
Noël leur répond : « il faut une trêve ».
Un homme d’honneur leur offre la paix :
Il tombe à genoux, se tait à jamais.

 

Un enfant s’avance au milieu des ruines
Et chante l’amour, bercé par la bruine.
Lorsqu’il aperçoit un rameau en fleur,
Il s’en va l’offrir au fier dictateur.

 

Le tyran qui sourit brise la branche,
La foule de ses pieds, renie sa foi.
L’enfant s’écroule en pleurs, périt d’effroi :
Il n’avait pas dix ans, pauvre âme blanche.

 

Les soldats du Malin alors s’écrient :
« La victoire est à nous, c’est un beau jour »
Car rien ne les retient dans cette cour
Où la haine est un jeu, leur seule amie.

 

Les paisibles nations si impuissantes
Menacent les guerriers, haussent le ton
Et s’agitent pour rien, tristes bouffons,
Dans cette parodie de bonne entente.

 

Les peuples qui s’indignent ont l’air trahi
Et somment leurs bergers à ne plus rire ;
L’heure est trop importante, il faut agir ;
Un mot est en danger : Démocratie.

 

Pascal ROULOIS in Les Tourangéliques, 1996

 

 

1. Le traitement sémantique, génératif ou élaboratif de l’information

 

C’est très certainement contre-intuitif, mais les recherches sont formelles : si vous souhaitez mémoriser une information, un cours, il faut ajouter d’autres informations. Ces informations doivent être personnelles, elles joueront le rôle d’indices de récupération.

 

Par exemple, vous souhaitez mémoriser le mot « alacrité ». Répéter plusieurs fois ce mot, ce qu’on appelle la répétition de maintenance, sert assez peu quand on est adulte. Nous avons éminemment besoin de structure, de sens.

 

De même, vous mémoriserez moins bien le mot « alacrité » dans la phrase Inéméa a fait preuve d’une belle alacrité que dans la phrase Lors de sa conférence à Tours, la plus belle ville du monde, Inéméa, chercheuse en botanique, a fait preuve d’une belle alacrité lors de sa présentation, si bien que son auditoire fut transporté dans le monde végétal.

 

En effet, chaque mot est potentiellement un indice de récupération, c’est-à-dire un indice qui va permettre de récupérer dans notre mémoire une information. Plus il y a d’indices de récupération, plus on a de chances de récupérer l’information. Dans la première phrase, vous avez, sur le plan sémantique, 7 indices de récupération, soit les mots en lien avec le mot « alacrité ». Vous en avez bien davantage dans la seconde phrase. Donc, si vous ne vous souvenez plus directement du mot « alacrité », vous allez pouvoir repenser à une phrase dans laquelle vous l’avez lu. C’est peut-être le mot « présentation » qui va vous rappeler le mot « alacrité », or il n’appraraît que dans la seconde phrase.

 

On peut même étendre ce principe à l’ensemble d’un cours pour conclure qu’un cours riche d’informations n’est pas fondamentalement à bannir. On se souviendra moins bien de chaque information certes, surtout à court terme, surtout pour un examen, mais à force de restructurations et recombinaisons – ce que fait la mémoire -, le sens et les grandes lignes peuvent perdurer plus longtemps qu’un cours plus pauvre en informations. Donc, potentiellement, un cours plus pauvre en information peut produire de meilleurs résultats aux examens, mais de moins bons résultats lorsqu’on se place sur le domaine du sens et du long terme.

 

D’autre part, que le cours soit riche ou pauvre, avec le temps, la mémoire efface en général les détails. Enfin, il convient de rappeler que tout ce qu’on ne récupère pas régulièrement a tendance à s’effacer, que le cours soit pauvre ou riche. C’est vrai pour vous comme pour moi.

 

J’évoquais tout à l’heure les indices de récupération sémantiques, mais ce ne sont pas les seuls qui permettent de récupérer son cours. Il existe d’autres catégories d’indices de récupération: un lieu, une odeur, une personne, etc. Pensez à la Madeleine de Proust.

 

Donc, pour mémoriser votre matériel pédagogique (votre cours, votre énoncé oral ou écrit), vous allez ajouter des informations. Ces informations doivent être personnelles et venir sans effort.

• Lisez-donc ce poème une première fois, et émettez des commentaires. Vous n’êtes pas obligé de les écrire.
• Puis, sans plus avoir le poème sous les yeux, pensez à vos commentaires. Non seulement cela devrait vous aider à récupérer le poème (dans ses grandes lignes), mais aussi à renforcer l’association poème-commentaires personnels.

 

 

2. Repérer la structure

Le cerveau d’un adulte a davantage besoin de structure que le cerveau d’un enfant. Des chercheurs pensent que le cerveau s’est reconfiguré pour mieux apprendre lorsque la structure est donnée, parce que nous avons été habitué à cela dans les écoles. De la même manière, les informations étant communiquées majoritairement par la voie verbale, il se peut que cela ait nuit au développement des autres voies du traitement de l’information.

 

En réalité, apprendre avec une structure (par exemple un plan) conduit à un écueil d’envergure : cela limite la capacité à être créatif, s’adapter à des environnements changeants, se préparer à l’inconnu, penser de manière holistique.

 

Devenir un apprenant extraordinaire et créatif implique de se débarrasser des structures, limitantes, ce que permettent la théorie des systèmes et la théorie du chaos, que je suis en train d’appliquer à la fondation d’une pédagogie qui n’a pas pour objectif de conserver et transmettre le passé (ce que font toutes les pédagogies actuelles), mais de créer le futur et favoriser le transfert, soit la capacité à utiliser ce qu’on a appris en formation pour résoudre des problèmes dans notre environnement naturel.

 

Tout ça pour dire qu’il est possible de faire autrement, et c’est ce que font déjà les apprenants extraordinaires, qui ne se laissent pas limiter par les structures. En attendant, voyons comment repérer une structure peut renforcer la mémorisation des informations.

 

Comme ce matériel pédagogique est un poème de forme fixe, donc de structure fixe, il faut se reposer sur ses connaissances en versification pour le récupérer dans sa mémoire à long terme.

 

Si on devait apprendre une formule mathématique, une loi, la coupe de l’hippocampe (en neurosciences), le mode d’emploi d’une machine-outil, alors il faudrait se reposer sur ses connaissances des structures d’une formule lambda, d’une loi x, d’un schéma en neurosciences, ou encore d’un mode d’emploi.

 

Si on ne dispose pas de ces connaissances, alors il faudrait les apprendre au préalable, et non pas apprendre en même temps la structure de ce poème et le contenu de ce poème. La charge cognitive pourrait être trop forte. Notons le conditionnel qui signifie que la charge cognitive dépend de l’individu.

 

Donc, voici les éléments qui fondent la structure de ce poème, et qui aideront à le retrouver dans votre mémoire, à le distinguer par exemple de ce que mes concurrents Victor Hugo et Lamartine ont écrit. Là, je plaisante avec le mot « concurrent ».

• 12 quatrains (des groupes de 4 vers)

• Chaque vers contient 10 syllabes (des décasyllabes)

• Ces quatrains sont répartis en 3 groupes de 4 quatrains en fonction de la césure. Les 3 premiers quatrains sont marqués par une pause à la 4è syllabe, les 3 quatrains suivants sont marqués par une pause à la 5è syllabe (et donnent l’impression d’un chant), les 3 derniers quatrains sont marqués par une pause à la 6è syllabe. On remarquera aussi l’incrémentation de la césure : 4-5-6.

• Les 4 premiers quatrains emploient des rimes croisées (ABAB -> meurtrières, sacrées, Enfer, sauver), les 4 quatrains du milieu emploient des rimes plates (AABB), les 4 derniers quatrains emploient des rimes embrassées (ABBA)

 

Je pourrais encore détailler, mais on n’est pas là pour faire de la versification ni analyser un poème, et puis, il en existe de bien meilleurs. L’objectif est de montrer l’intérêt de repérer et commenter la structure du matériel pédagogique que l’on doit apprendre. Non seulement, c’est une forme de traitement génératif de l’information, mais en plus cela va donner à ce matériel pédagogique un caractère distinctif.

 

Or, attribuer un caractère distinctif à ce qu’on apprend évite 2 phénomènes qui provoquent l’oubli : l’interférence proactive et rétroactive. L’oubli ne vient pas seulement de l’absence de récupération régulière du matériel pédagogique.

 

Une fois que vous avez repéré la structure distinctive de ce que vous avez à apprendre, vous pourrez vous y référer plus tard. « J’ai lu il y a longtemps un petit poème qui parlait d’un dictateur, mais je ne m’en souviens plus bien. Ah oui, ça y est, il y avait 12 quatrains, il était écrit en décasyllabes, etc. »

 

Encore une fois, c’est le travail personnel qui va permettre de récupérer plus tard son matériel pédagogique.

 

 

3. Mettre en relief l’histoire

 

Le cerveau humain est particulièrement adapté à l’emploi d’histoires pour comprendre et mémoriser. Or, avec un peu d’imagination, on peut tout transformer en histoires, y compris une formule mathématique.

 

Les propriétés d’une histoire sont si puissantes que Daniel Willingham, un très grand pédagogue, a dit qu’on pouvait tout apprendre et tout enseigner par ce moyen.

 

Dans cet article, Daniel Willingham (encore une fois, j’insiste, un immense pédagogue), nous livre sa méthode pour créer des histoires: les 4C.

 

Causality

Conflict

Complications

Character

 

 

On pourrait rajouter la Méthode SPRI de l’excellent Louis Timbal-Duclaux, qui fut professeur de français avant de devenir Directeur de la communication chez EDF. Dans son livre, Louis Timbal-Duclaux avoue avoir analysé tous les types d’énoncés (mode d’emploi, poème, nouvelle, roman, pièce de théâtre, etc.) pour découvrir qu’ils répondaient à une structure:

 

(S)ituation

(P)roblème

(R)ésolution

(I)nformation

 

On peut même rajouter (E)ntrée en matière et (T)ransition (ou Terminaison) pour faire ESPRIT. Je ne vous en dis pas plus, mais lisez absolument ce livre si vous souhaitez faire des formations ou communiquer.

 

Entre les 4C de Daniel Willingham (un immense pédagogue, vous vous souvenez ?) et la Méthode SPRI de Daniel Willingham, vous êtes paré pour des cours et des présentations impactantes.

 

Je vous laisse donc relire ce poème (ou pas) pour en déterminer l’histoire. Et si ce poème était un texte descriptif, alors il faudrait déterminer de quelle manière la description s’organise.

 

Autrement dit, l’apprentissage d’un matériel pédagogique doit se faire avec les outils spécifiques à ce matériel. Ca aussi c’est important.

 

4. L’emploi de l’imagerie mentale

 

L’imagerie mentale est un formidable outil pour apprendre et mémoriser. Si nous avons tous une capacité naturelle en imagerie mentale plus ou moins forte, nous pouvons la magnifier par une formation et un entraînement appropriés.

 

Sur le plan de la compréhension, l’imagerie mentale, notamment visuelle, permettra de concrétiser ce qui est abstrait. Par exemple, lorsque j’écris ou je pense à un triangle, non seulement je le vois parfaitement dans ma tête, je suis capable de le tourner mentalement (c’est l’effet de la pratique de jeux vidéo), mais aussi je ressens physiquement sur la paume de ma main une pression comme avec une aiguille. Quand je pense à l’eau, je sens l’eau envahir mon corps, avec une très grande netteté. Si je pense à du métal, j’aurais froid, etc. Il s’agit certes d’une capacité naturelle, mais je l’ai considérablement renforcée en formant mes stagiaires à l’imagerie mentale, puisque je réalisais moi-même les exercices.  L’étude de la pédagogie de la grounded (ou embodied) cognition m’a aussi beaucoup aidé en ce sens, à comprendre que la cognition est incarnée, bref, c’est tout le corps qui apprend, pas seulement le cerveau. Voilà donc des pistes pour renforcer votre propre capacité en imagerie mentale.

 

Lisez-donc ce poème, lentement, en voyant dans votre tête des images des scènes qu’il suggère, entendez les sons, percevez les odeurs, les goûts et tout ce qui est de l’ordre du toucher. Bref, rendez concret cet ensemble de mots, vivez ce texte.

 

 

5. Les émotions

 

Pour les neuroscientifiques et les psychologues, les émotions sont un signal qui va alerter un individu sur un déséquilibre. Ce déséquilibre va appeler à agir pour rétablir l’équilibre. Vous pourrez trouver sur internet un livret que j’ai écrit sur les émotions (« Les émotions dans l’apprentissage, définitions et conseils pratiques »), avec un volet spécifique sur le e-learning, et qui s’appuie exclusivement sur des travaux scientifiques reconnus, notamment ceux de Min Liu de l’Université du Texas, qui m’a gentiment donné le privilège de partager ses travaux.

 

Ce signal d’alerte est ce qui va nous faire apprendre. Qu’apprend-on ? Ce qui est nouveau ! Qu’est-ce qui est nouveau ? Ce que l’on perçoit comme un déséquilibre.

 

Les émotions sont certes un signal d’alerte qui invitent à une action, mais elles sont aussi, toujours pour les neuroscientifiques et les psychologues, un cocktail de neurotransmetteurs, ces produits chimiques qui sont créés par notre cerveau, et qui transportent les informations entre les neurones pré-synaptiques et post-synaptiques. Or la mémoire et la compréhension sont aussi une affaire de chimie.

 

Donc, si vous voulez apprendre votre matériel pédagogique, laissez-vous aller aux émotions. Si les mathématiciens parlent de beauté des mathématiques, c’est tout simplement parce qu’ils éprouvent une sensibilité, des émotions que cette discipline va faire naître. Ils percevront donc des signaux qui vont les alerter alors que ces signaux seront inconnus aux autres. Et ces émotions vont plus tard les guider.

 

J’ai réuni des centaines de travaux scientifiques sur les émotions dans l’apprentissage, et leur force m’étonne toujours.

 

Traditionnellement, on a réprimé les émotions parce qu’on considérait qu’elles étaient dangereuses (il faut se contrôler), qu’elles étaient une marque de faiblesse (les émotions sont féminines et les femmes sont faibles), et qu’elles s’opposaient à la raison (l’image de Spock dans la série Star Trek). Tout cela est éminemment faux, et de nombreux neuroscientifiques considèrent même que les structures cérébrales de la cognition et de l’émotion sont entrelacées d’une part, que l’émotion prime sur la raison et qu’elle la pilote, y compris dans la recherche scientifique !

 

Par conséquent, non seulement il faut se laisser aller à ses émotions, mais en plus, pour récupérer plus facilement son matériel pédagogique, il faut tenter de retrouver les émotions que l’on a éprouvées lorsqu’on a encodé (appris) ce matériel.

 

Éprouver des émotions ne se décrète pas, et les années passées à les inhiber, à s’imposer une posture individuelle ou sociale vont nous handicaper. Alors que les personnes parfaitement alignées avec ce qu’elles sont et non pas avec ce qu’elles cherchent à renvoyer vont moins s’épuiser cognitivement et seront donc plus disponibles pour apprendre et être créatives.

 

Peut-on retrouver ses émotions ? Oui. La méditation, le Mindfulness, les arts, le fait de se décentrer et se recentrer sur les autres, le fait d’être présent à soi dans ses relations avec son environnement (par exemple, quand on touche une poignée de porte, se dire « je touche une poignée de porte »), tout cela participe à la reconquête de ses émotions perdues, à regagner un alignement avec soi-même. C’est alors que naît un sens qui nous était caché, et qui participe à la compréhension de ce qu’on doit apprendre.

 

Essayez-donc pour voir !

 

Conclusion
Le traitement génératif de l’information, l’éveil à la structure de son matériel pédagogique, la création d’une histoire, l’emploi de l’imagerie mentale et des émotions sont autant d’éléments qui conduisent un apprenant ordinaire à devenir un apprenant extraordinaire. Ce n’est pas une hypothèse.

 

 

Notes :
Vous pouvez copier et diffuser tout ou partie de cet article, ou le traduire, à partir du moment où vous remplissez les deux conditions suivantes :
• Citer son auteur et www.neuropedagogie.com
• Mettre un lien vers cet article

 

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