Le traitement médiatique accordé à la durée de l’attention est un exemple parfait du dysfonctionnement des médias. C’est ce que je vais exposer avant de rappeler l’impérieuse nécessité de vérifier et critiquer les sources, et d’écarter tout argument d’autorité.
Quelle est la véritable durée de l’attention ?
Je vais vous surprendre. La durée de l’attention humaine n’est que de 8 secondes ! Moins qu’un poisson rouge.
C’est effectivement ce qu’annonce le « très sérieux » (pour reprendre la terminologie consacrée) Telegraph: Humans have shorter attention span than goldfish, thanks to smartphones
Cette information a également été reprise par le non moins sérieux Time, à la rubrique « neurosciences » s’il vous plaît ! You Now Have a Shorter Attention Span Than a Goldfish
Vous allez retrouver cette information dans The Independant, le New York Times, USA Today, à la télévision (sur la très sérieuse NBC), dans des infographies, dans des journaux consacrés au monde des affaires, et même la « très puissante » NBA (pour reprendre l’expression consacrée) a annoncé qu’elle envisageait de s’adapter aux nouvelles données de la science.
En cliquant sur ce lien, vous allez être redirigé vers une page universitaire, mon point de départ pour cet article : https://internet.psych.wisc.edu/wp-content/uploads/532-Master/532-UnitPages/Unit-09/Attention_Goldfish_Abbreviated.pdf Merci à ces personnes d’avoir fait ce beau travail, il est important d’exprimer sa reconnaissance.
Les 8 secondes d’attention n’est que du bullshit, comme le révèle la très sérieuse BBC, qui a interrogé Gemma Briggs, psychologue dont les travaux se portent sur l’attention et qui déclare que la durée de l’attention est contexte-dépendante. Bref, elle dépend de la personne, de la tâche à accomplir, de la situation. Attention, il s’agit d’un article de la BBC et Gemma Briggs n’est pas la seule à travailler sur ce sujet. Il faut vérifier l’information en se reportant à des études scientifiques.
Dans un prochain article, destiné à débunker les idées fausses sur le cours magistral, et en montrer les avantages, je m’appuierai sur des sources scientifiques. Et l’on verra que la durée de l’attention n’est ni de 10 minutes, ni de 15 minutes. Autrement dit, le format TED, qui s’appuie sur cette fameuse fourchette, s’appuie sur une fake news.
En attendant, il aura fallu 3 ans pour que la vérité sur les 8 secondes d’attention soit révélée. En attendant, des millions de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ont cru ces sources.
En attendant, des entreprises ont pu intégrer cette fake news scientifique pour modifier je ne sais quel process.
Ce à quoi nous avons assisté se produit des dizaines de fois chaque jour, et n’est perceptible que par des experts qui n’ont pas vraiment le temps de rétablir la vérité, et qui de toutes les façons ne peuvent pas faire grand-chose contre le biais de confirmation et un mensonge colporté des millions de fois par les médias.
De l’impérieuse nécessité de vérifier et critiquer les sources
Chacun de nous se construit en interaction avec son environnement. Je prélève et mémorise des informations que j’associe aux informations déjà mémorisées si je les juge utiles à mon adaptation future. Je me construis donc un filtre, un tamis, qui laisse passer en priorité les informations qui vont renforcer la construction de mon identité individuelle et sociale, mes croyances, mes valeurs, et qui va écarter les informations qui ne vont pas dans le sens de cette construction. Cela donne lieu à ce qu’on appelle « le biais de confirmation ».
Le biais de confirmation, qui consiste à écarter toute information qui ne va pas dans mon sens ne peut lui-même qu’être difficilement éliminé. Il y a même de fortes chances que cela soit impossible.
Ainsi, un chercheur en psychologie qui n’aime pas les jeux vidéo aura tendance à réunir une documentation scientifique et un argumentaire sur la nocivité des jeux vidéo, et inversement. Le journaliste, qui veut faire l’apologie de son propre idéal procédera de la même façon. Et ceux qui programment une IA sont également sujets au biais de confirmation, les algorithmes ne sont pas plus objectifs que ceux qui les conçoivent. Personne ne peut échapper à ce biais. Ce n’est pas une question d’intelligence, de culture, de connaissance, de morale.
Ce filtre, qui privilégie certaines informations me rend également moins critique à leur égard, plus critique à l’égard des informations qui me dérangent.
Ce filtre va me conduire à fréquenter des gens qui me ressemblent, et me fermer à ceux qui sont différents. Ma légitimité est ainsi renforcée par mes pairs.
Ce filtre, associé à l’inférence bayésienne, va construire mes préjugés. Je viens d’être parent, je vais donc privilégier les informations qui confortent la construction de mon identité sociale de parent et qui me seront utiles en tant que parent. Je vais remarquer davantage de poussettes dans la rue et me dire que décidément, on fait beaucoup de bébés. Mon expérience personnelle est plus forte que les statistiques.
Je suis soumis à d’innombrables préjugés que je remets rarement en cause, sauf lorsque je prends conscience de leurs limites. C’est alors que j’apprends, donc, que je me transforme.
Pour éviter que ne se construisent les préjugés (en critical thinking skills, on dirait « préconceptions »), si on interrogeait les sources ?
Pour éviter de construire un bon raisonnement sur un sujet mal posé, et aboutir à un résultat erroné, si on définissait ce sujet comme le chirurgien ou le pilote fait sa check-list en toute circonstance ? Je sais que les instruments sont là, mais je les vérifie quand même. Ma responsabilité en tant que pilote ou chirurgien est trop importante pour croire en mon infaillibilité.
Le cours magistral est passif ? Qu’est-ce qu’être actif ? Les apprenants ne sont pas motivés par les pédagogies verticales (du formateur vers l’apprenant) ? Qu’est-ce que la motivation ? Etc.
De nombreuses erreurs de raisonnement seraient évitées si on prenait le temps de définir notre environnement. C’est la base de la résolution de problèmes : on ne compute pas tant qu’on n’a pas le sens de ce que l’on fait, tant qu’on n’a pas défini précisément son sujet.
Puis j’interroge mes sources.
Où ai-je lu ou entendu que la durée de l’attention était de 10 à 15 minutes ? Une conversation, un article d’un journal grand public généraliste ou spécialiste, un enseignant/formateur ?
Quelle est la nature des informations qui ont été lues ou entendues ? Est-ce que ce sont des hypothèses que j’aurais transformées en théorie scientifique ? Est-ce que ce sont des conclusions d’une étude scientifique relayées par un organisme de communication ? Celle-ci est-elle dépourvue de biais ? Les résultats sont-ils significatifs ? L’étude scientifique s’appuie-t-elle sur des expériences ? A-t-elle été répliquée par une autre équipe de chercheurs ? A-t-elle été publiée dans une revue à comité de lecture ? Le domaine dans lequel cette étude, publiée dans une revue à comité de lecture, réunit-il suffisamment d’experts qui peuvent juger en toute impartialité ? N’est-elle pas contredite par une « null study » ? Etc. Ca n’est pas simple. C’est même très compliqué.
Puis je vérifie les sources. L’auteur d’un livre grand public (et parfois moins grand public) a-t-il réellement lu tous les livres qu’il annonce dans sa bibliographie ou s’est-il contenté de citer les livres présents dans une méta-analyse qu’il a vaguement lue, un site Internet qu’il a rapidement consulté ? Autrement dit, est-ce l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ?
Pour terminer
La puissance des médias nous éduque comme des chiens de Pavlov alors que la masse d’informations nous empêche d’en examiner la véracité, la pertinence et les limites.
Ainsi préfère-t-on un Aberkane à un Ramus, un Cyrulnik à un Wolfe, une Miller à une Loftus.
Ainsi préfère-t-on croire les associations qui défendent une idéologie sociétale qui ne repose pas sur des données scientifiques objectives.
Ainsi voit-on que les « très sérieux » médias, qui « décryptent » l’information ne la vérifient pas, mais se copient les uns les autres, modifiant un ou deux mots dans leur titre.
Ainsi voit-on des entreprises qui se transforment sur la base d’informations fausses.
Ainsi voit-on, à l’heure de l’horizontalité et du collectif, qu’il est toujours pertinent de s’entourer d’experts, de scientifiques et de personnes dont l’esprit critique s’appuie sur des connaissances générales (une culture) et une formation pointue à l’esprit critique, qu’elle provienne de la philosophie, des critical thinking skills ou encore de la psycholinguistique.
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