Applications concrètes des Critical Thinking Skills

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Procédure normalisée pour traiter l’information en profondeur afin de l’évaluer mais aussi de la produire plus efficacement, les Critical Thinking Skills sont essentielles à de nombreuses professions, situations et activités humaines. Je n’exposerai ici que les applications pratiques de cette discipline au traitement des énoncés, qui est la partie la plus abordable.

 

 

1.Les critical thinking skills servent à mieux apprendre

Tout apprentissage passe en grande partie par la lecture d’énoncés structurés, l’énoncé étant un ensemble d’informations cohérentes.

L’apprenant lambda (élève, étudiant, adulte en formation professionnelle) a tendance à lire l’énoncé avec une attention dirigée vers l’information qu’il contient dans le but de la mémoriser, sans faire attention à la structure, sans questionner ladite information, qui provient forcément d’une autorité dans le domaine étudié. Ce type de traitement de l’information s’observe particulièrement chez ceux qui soulignent ou surlignent séquentiellement les passages qui leur paraissent particulièrement intéressants, avant même d’avoir lu l’intégralité de l’énoncé. Comment dans ce cas distinguer l’essentiel de l’accessoire en l’absence d’une vue d’ensemble ?

 

1.1.On traite l’information plus efficacement

La formation en Critical Thinking Skills conduit l’apprenant à traiter l’énoncé bien plus efficacement. Le critical thinker fait d’abord surgir la conclusion principale, puis la (les) conclusion(s) intermédiaire(s), les arguments explicites et implicites. Il s’interroge sur leurs relations. La conclusion intermédiaire soutient-elle bien la conclusion principale ? Quels sont les arguments implicites sur lesquels repose l’énoncé et qui conduit son auteur à vouloir me faire accepter sa manière de traiter le problème ? Cette manière de traiter l’information s’applique à tous les domaines d’étude, y compris en mathématiques et en sciences exactes. Ainsi le mathématicien, physicien ou chimiste (…) qui emploie les critical thinking skills analysera plus efficacement les formules, les démonstrations, etc.

 

1.2.On mémorise mieux l’information

Comme il dispose d’une bibliothèque de structures logiques (à l’instar du joueur d’échecs qui a mémorisé les bibliothèques de coups) et de types de raisonnements, le critical thinker est plus rapide et plus précis dans le traitement des données parce qu’il peut rattacher l’énoncé à traiter à l’une des structures mémorisées. Or les travaux sur la mémorisation ont démontré sans doute aucun que l’on mémorisait plus facilement les données organisées, structurées, et celles que l’on pouvait rattacher aux données précédemment mémorisées.

La mémorisation de l’énoncé est encore renforcée parce que le critical thinker est actif dans le traitement de celui-ci. Il le questionne, en détermine la logique, bref, il effectue un travail personnel, un « deeper processing » (traitement en profondeur) et transforme de facto l’énoncé. Or, on mémorise toujours mieux ce que l’on peut rattacher à soi, ce que l’on transforme, ce que l’on explicite.

 

1.3.On comprend mieux un énoncé

L’application des Critical Thinking Skills au traitement des énoncés en favorise également la compréhension, en raison de la recherche de la logique. Cela est particulièrement utile lorsqu’il faut analyser une question, un problème, un sujet et ce, dans toutes les disciplines. Les commentaires des enseignants de type « vous ne démontrez pas » ou « vous n’approfondissez pas » ne s’appliquent pas au critical thinker.

 

1.4.On produit des énoncés plus pertinents, mieux structurés, plus logiques

Egalement, le critical thinker est en capacité de produire des énoncés plus pertinents, mieux structurés. Cela est valable pour tout type de rédaction, dissertation, commentaire ou synthèse de documents, conduite d’un raisonnement mathématique ou scientifique, etc. C’est un formidable instrument qui rend toute communication plus efficace, que son objectif soit d’exposer, expliquer, expliciter, démontrer, convaincre, etc.

L’emploi des Critical Thinking Skills est également un atout pour produire des fiches de révision plus efficaces, parce que les informations sont mieux structurées.

 

1.5.On évalue mieux les énoncés

La partie évaluative de cette discipline rend celui qui la maîtrise capable de déterminer les faiblesses d’un énoncé, ce qui est particulièrement utile lorsqu’il faut analyser une théorie, une thèse, ou tout autre problème. De plus, être capable de repérer une faiblesse, un manque, est une première étape vers la créativité qui a pour objet de combler cette faiblesse, ce manque.

 

1.6.On augmente ses chances de réussir ses études universitaires, elle est directement présente dans des épreuves d’entrées aux Universités américaines

La réussite dans certaines filières universitaires (Lettres, philosophie, psychologie, langues, Droit, journalisme, Sce-Po, ENA, ENM, etc.) où il faut communiquer et résoudre des problèmes est grandement facilitée par la pratique des Critical Thinking Skills.

Aux Etats-Unis, on les retrouve dans le GMAT ou le SAT (via le critical reading), et dans d’autres épreuves standardisées d’admission aux Universités et autres Ecoles d’ingénieurs.

 

 

2. Les Critical Thinking Skills sont directement employables dans de nombreuses professions et activités

 

2.1.Dans les fonctions et situations où il faut communiquer et/ou convaincre

Les critical thinking skills sont essentielles à toute fonction où il faut communiquer, démontrer et convaincre : professions juridiques et fonctions politiques, gestion des ressources humaines, journalisme et communication, enseignement, marketing et vente…

Et naturellement, de nombreuses situations nous conduisent à devoir communiquer clairement ou convaincre autrui : animer une réunion, négocier, expliquer et expliciter, etc.

 

2.2.Dans les fonctions et situations où il faut acquérir et analyser les données

Les critical thinking skills favorisent grandement la détection de failles dans toute production de la pensée humaine. Par conséquent, ces compétences aident à déterminer les erreurs et biais dans toute étude scientifique, dans tout rapport d’analyse et d’expertise – que l’on doit établir pour le compte d’une entreprise par exemple – et d’une manière générale dans toute situation qui nécessite de recueillir et d’analyser des données comme la conduite d’une enquête (journalistique, policière, ou tout simplement pour savoir ce qu’il s’est réellement passé), d’un entretien (journalistique, policier, embauche, etc.), et bien d’autres situations. Les critical thinking skills sont particulièrement efficaces pour les conseillers et consultants, en tous domaines.

 

2.3.Dans les fonctions et situations où il faut prendre des décisions et conduire des projets

En favorisant une exposition claire et précise du problème, en permettant un examen minutieux et logique des implicites d’une situation, en favorisant une analyse fine des différentes solutions proposées, en traitant les failles, en concevant des solutions alternatives (…), le critical thinker est en mesure de conduire des projets, savoir décider, et vraisemblablement prendre de meilleures décisions.

 

2.4.Dans les futures fonctions liées à l’émergence de la Société de la connaissance

Comme le critical thinker est capable de manipuler l’abstraction, les symboles et idées complexes, acquérir de nouvelles informations efficacement, demeurer suffisamment flexible pour reconnaître le besoin d’un changement continu, d’apprendre efficacement tout au long de sa vie, comprendre les nouveaux paradigmes, il s’inscrit parfaitement dans la société de la connaissance qui exige des « symbol analyst » selon la terminologie de Robert Reich.

 

 

3.Quelques effets sur l’individu

 

J’ai jusqu’à présent exposé en quoi les critical thinking skills sont directement utiles à l’apprentissage et à l’exercice de différentes professions, sans pour autant être exhaustif. Voyons maintenant quelques effets, non exhaustifs, sur l’individu.

 

3.1.Exerce l’attention

Les critical thinking skills, en obligeant celui qui les applique à traiter un énoncé (et par extension une situation concrète) avec pour objectif d’en déterminer la logique, la cohérence, la structure, la pertinence, les failles (…) exercent forcément l’attention.

 

3.2. Améliore la capacité à raisonner, à être logique, à résoudre des problèmes

Il s’agit de l’effet le plus facilement observable et qui a été vérifié scientifiquement. Le critical thinker devient progressivement plus logique, il raisonne mieux, traite différents problèmes avec une efficacité plus grande.

Et contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas en devenant plus logique qu’on perd de sa poésie, de sa spontanéité, de son humanité, de son humour, de sa créativité. Ce mythe a été colporté par le cinéma et la télévision, en premier lieu par le personnage de la série Star Trek, Monsieur Spock.

 

3.3. Rend plus tolérant, plus ouvert, plus diplomate

Comme le critical thinker est à même de repérer les failles dans tout énoncé (oral ou écrit), même lorsqu’il est produit par les plus grands experts, et même sur des sujets qu’il ne connaît pas, le statut de la vérité lui paraît plus fragile. Il entrevoit plusieurs pistes, plusieurs explications, plusieurs théories ou idées, et cela le rend beaucoup plus flexible, en capacité de se mettre à la place d’autrui, ne pas demeurer prisonnier d’une idéologie, d’une thèse.

Le critical thinker ne cherche pas à dominer, à gagner – et en cela, il se distingue de l’argumentateur, du rhéteur – ; il cherche à comprendre, est en quête de vérité. Il n’est pas conflictuel, voit en autrui davantage un partenaire qu’un adversaire, il comprend la diversité, la variété.

Le critical thinker peut donc se fondre dans tout groupe humain, en embrasser les spécificités culturelles, sociales (…) sans trop les étreindre, afin de conserver sa liberté de questionner son environnement comme lui-même.

Le critical thinker se pose en excellent négociateur, diplomate, parce qu’il recherche la vérité, analyse objectivement le problème, repère les failles et cherche à les combler pour justement faire émerger la vérité. En cela il ne voit pas un camp, une chapelle, mais cherche à résoudre objectivement un problème. Or cette manière de rechercher l’objectivité fait du critical thinker une personne de confiance, honnête, base essentielle dans toute relation humaine. Cela lui donne davantage de crédit, de légitimité pour négocier parce qu’il entrevoit les postures, besoins et implicites sur lesquelles se reposent les différentes parties. Le critical thinker va rechercher ce qui est le plus vraisemblable, le plus raisonnable pour toutes les parties, et n’a pas de conclusion prédeterminée. Sa capacité à arbitrer dans l’intérêt de la vérité de la situation le conduit naturellement à exercer un leadership sans passer par des artifices ou des postures de nature à soulever une opposition plus ferme.

 

3.4. Rend moins malléable, moins influençable

Bien qu’en étant plus flexible – parce que plus ouvert à la nouveauté -, le critical thinker est moins malléable et moins influençable à la fois parce qu’il est capable de déterminer ce qu’on attend vraiment de lui (à travers l’analyse des implicites et des relations entre arguments, conclusions intermédiaires et conclusion principale) – et qui échappe peut-être à l’énonciateur lui-même -, mais aussi parce qu’il ne peut se laisser enfermer dans une vérité qu’il sait le plus souvent être temporaire.

 

3.5. Permet de prendre des décisions, de régler plus facilement les dilemmes

Lorsqu’on prélève une information et qu’on la traite, on décide de ce qu’il faut croire ou ne pas croire, or nos croyances constituent la base de nos actions. L’ensemble des informations que nous prélevons puis traitons construit notre corpus d’opinions, de croyances, de connaissances, bref, fait de nous ce que nous sommes. Et chaque jour nous devenons quelqu’un d’autre tout en demeurant quelque part nous-même.

Progressivement, nous devenons prisonniers d’une certaine façon de penser, de certaines opinions et croyances parce qu’elles nous sont soumises plus fréquemment que d’autres, parce qu’elles nous sont présentées d’une manière plus séduisante, parce qu’elles sont davantage en relation avec ce que l’on connaissait, etc. Et cela nous conduit progressivement à nous éloigner d’autres opinions et croyances peut-être plus justes et plus pertinentes.

Faut-il condamner le libéralisme, réhabiliter le communisme, légaliser les drogues ou le suicide assisté, croire que l’homme politique ou le banquier est nécessairement un pourri, la Russie ou l’Islam une menace, les Etats-Unis des prédateurs en mal de domination, les OGM un danger pour l’humanité, Internet un repère de complotistes (…) ?

Chaque jour nous devons évaluer quantité d’arguments de ce genre, émis par nos proches, les journalistes et blogueurs, les hommes politiques et autres leaders d’opinions.

Comment décider de ce que nous devons croire et jusqu’à quel point y donner crédit ?

Grâce à la mise en place d’un processus systématique parfaitement logique, les critical thinking skills permettent de décider de ce qu’il faut croire sans être influencé par un tiers et de résoudre les dilemmes.

Mieux encore, en exposant clairement les problèmes, en appliquant le même processus normalisé dans le but d’analyser objectivement les problèmes – y compris leurs implicites -, différentes solutions émergent au critical thinker, qu’il peut développer par la suite pour en voir les faiblesses ou ramifications, et prendre une décision plus efficace parce qu’elle ne serait pas prisonnière du « lazy brain », autrement dit, de la propension à prendre une décision lorsque le nombre minimal de conditions est réuni.

Et l’application du processus normalisé à la résolution de tout problème qui conduit à l’exploration de différentes ramifications et faiblesses possibles entraîne de facto à donner au critical thinker une meilleure faculté à anticiper.

 

4. Enfin

Je suis très loin d’avoir listé toutes les situations, tous les domaines, toutes les activités professionnelles où les Critical Thinking Skills ont une utilité pratique et immédiate. J’enseigne et j’utilise cette discipline depuis 2003 environ, et j’ai pu observer son effet positif sur tous types de personnes, apprenants et professionnels dans maints secteurs.

Je ne saurai terminer cet article sans citer un rapport de 80 pages*, issu d’un travail de recherche selon la méthode Delphi, qui réunit 46 experts en Critical Thinking Skills  et dont je traduis librement un passage :

« Le critical thinker idéal est habituellement curieux (il va au fond des choses), bien informé, confiant dans la raison, ouvert d’esprit, flexible, impartial dans l’évaluation, honnête avec ses préjugés personnels, prudent lorsqu’il faut porter des jugements, veut reconsidérer les choses, est clair avec les problèmes et litiges, méthodique avec les questions et problèmes complexes, appliqué dans la recherche d’informations pertinentes, raisonnable dans la sélection de critère, se focalise sur l’investigation et la recherche, persistant dans la recherche de résultats qui peuvent être aussi précis que le permettent le sujet d’investigation ( ou de recherche) et les circonstances. Cela associe le développement des Critical Thinking Skills avec l’éducation de ces dispositions qui produisent de manière constante des connaissances approfondies et utiles et qui sont les bases d’une société démocratique et rationnelle. »

Critical Thinking : A Statement of Expert Consensus for Purposes of Educational Assessment and Instruction (Facione, 1990).

Par conséquent, les Critical Thinking Skills se posent comme un outil incontournable pour améliorer sa performance cognitive mais développent aussi chez celui qui les étudie et les emploie assidûment des qualités indispensables à l’exercice d’une activité, profession, des relations humaines apaisées, et constituent peut-être la meilleure éducation à la citoyenneté éclairée.

Dans l’article suivant, j’exposerai quelques évaluations scientifiques sur l’efficacité des Critical Thinking Skills et en dessinerai les limites et les manières de les dépasser.

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