Mythes et Mind Mapping

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La popularité croissante du Mind Map©, d’abord auprès des professionnels, aujourd’hui auprès des apprenants comme des enseignants, ne cesse de s’entourer de nombreux mythes qu’il convient de débusquer. Même s’il est évidemment utile, le Mind Mapping ne guérit pas encore les écrouelles, et non, les neurosciences n’ont pas adoubé l’efficacité du schéma heuristique, pas plus que la psychologie cognitive ne l’a fait.

 

 

1. Tony Buzan a inventé le Mind Map©

Il semble effectivement que Tony Buzan ait inventé le nom (et la marque) Mind Map©, mais le concept est très ancien.

La carte mentale étant un outil dont l’objet est de représenter spatialement les informations catégorisées, on ne s’étonnera pas de le retrouver depuis des lustres chez les généalogistes qui l’utilisaient sans le savoir, ou encore chez les scientifiques qui étudiaient la taxonomie pour enrichir l’arbre du Vivant. Egalement, les professeurs de Français ou de Philosophie qui ont étudié l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert y retrouveront des traces objectives sous la forme d’illustrations.

Plus proches de nous, on pourrait citer les informaticiens ou les personnes qui s’occupent de la gestion qualité avec le diagramme d’Ishikawa.

Parce qu’au final, le Mind Map est un diagramme. On peut lui mettre des couleurs, lui ajouter des dessins, cela reste un diagramme. Mind Map, Mind Mapping, Carte conceptuelle ou encore Schéma heuristique sont des termes du marketing destinés à faire croire en une découverte pour mieux vendre par la suite des services.

Tony Buzan a cependant eu le grand mérite de populariser cet outil -ce n’est pas rien- et de lui trouver diverses fonctions utiles que nous verrons prochainement.

 

 

2. Le Mind Mapping améliore la créativité

Il s’agit d’une affirmation gratuite qui n’est prouvée par aucune étude scientifique. D’ailleurs je doute qu’une telle étude soit réalisable. Il faudrait prendre un groupe qui emploie le Mind Map, et un autre qui n’emploie pas le Mind Map, et déterminer lequel des deux est le plus créatif. Mais selon quels paramètres ? C’est bien compliqué.

On pourrait alors définir sommairement la créativité : l’acte par lequel on perçoit un manque dans son environnement, que l’on va combler. Ainsi le chasseur qui chasse nu les animaux en viendra à utiliser leur fourrure pour se fabriquer des vêtements qui protègent du froid, ou qui protègent les pieds qui souffrent de marcher sur les reliefs.

La créativité peut être fortuite : j’observe la foudre qui enflamme l’arbre, et je fais le rapprochement avec le silex – d’où jaillissent des étincelles – que j’emploie pour me fabriquer des outils. Ca y est, « j’ai inventé » le feu.

Aujourd’hui, le monde ayant eu le temps d’évoluer considérablement, la créativité (innovation, invention) dans un domaine est le plus souvent proportionnelle à la maîtrise dudit domaine.

Autrement dit, le béotien en informatique que je suis n’inventera certainement pas un programme révolutionnaire, avec ou sans l’aide du Mind Mapping.

 

Enfin, le Mind Mapping n’est pas un générateur d’idées. En revanche, c’est un outil efficace pour catégoriser, hiérarchiser les idées.

 

 

3. Le Mind Mapping améliore la mémorisation

J’ai lu plusieurs études scientifiques sur le sujet ; elles sont contradictoires. Les personnes et organismes qui vendent des formations au Mind Mapping vont s’appuyer sur une étude anglaise spécifique (et je me suis moi-même appuyé sur elle puisque c’était la première étude que j’avais lue sur le sujet), mais d’autres ne démontrent aucun avantage au groupe test qui a employé le Mind Map sur le groupe de contrôle qui n’a pas employé le Mind Map.

On n’est jamais assez prudent avec les études scientifiques, et je n’échappe naturellement pas à la règle. En effet, si une étude démontre que le groupe A  qui a employé le Mind Map a obtenu une meilleure performance que le groupe B qui n’a pas employé le Mind Map, cela ne signifie pas que le mérite en revient au Mind Map. Il faudrait ajouter un groupe C qui utilise le résumé ou la synthèse, un groupe D qui utilise des flashcards, un groupe E qui utilise les tableaux synoptiques, un groupe F qui utilise la règle des 5W, etc. Puis il faudrait procéder à une analyse multifactorielle. Peut-être que le groupe qui a utilisé le Mind Map s’est également senti davantage encadré, donc légitimé et a par conséquent développé une motivation plus grande (effet Hawthorne) ou s’est mis à travailler davantage ? Bref, c’est vraiment compliqué. Il ne faut pas oublier non plus que nous assistons à une course aux publications scientifiques parce que cela influe sur la carrière des chercheurs, sur le rang de l’Université dans le classement de Shangaï, donc sur les fonds qu’aura l’Université, etc. Egalement, la presse généraliste (et même spécialiste) reprend souvent les résumés et conclusions rédigés non pas par les scientifiques, mais par des rédacteurs.

Pour être totalement objectif, on n’a pas assez de recul. Une expérience, pour être vraiment valide, doit être réalisée par plusieurs équipes différentes : mêmes conditions, mêmes résultats. Et la méthodologie doit être fiable.

En 2010, j’avais encadré un stage de Mind Mapping à l’Institut Privé Catholique Notre Dame La Riche, à Tours, et l’année suivante, un papa est venu me féliciter parce que sa fille était « tête de classe » et qu’il en attribuait le mérite au Mind Mapping. Je lui avais répondu qu’il n’en était rien, que le mérite en revenait d’abord à sa fille qui avait travaillé régulièrement, sérieusement, et qui avait appliqué à la lettre ce qu’elle avait appris au stage de neuropédagogie auquel elle s’était également inscrite, à lui-même qui avait toujours été présent. Le Mind Map n’est qu’un outil. Ce n’est pas le marteau qui enfonce le clou, et ce n’est pas le Mind Map qui mémorise.

L’efficacité du Mind Mapping comme outil d’apprentissage réside dans le fait qu’il oblige l’apprenant à transformer l’information que son professeur lui a communiquée en classe. Comme l’apprenant effectue un travail personnel qui l’oblige à transformer les informations présentes dans le document d’origine (son cahier de cours), non seulement il mémorise mieux son contenu (puisqu’il a incarné, personnalisé son apprentissage), mais aussi parce que l’information devient connaissance.

Néanmoins, et sans que cela n’ait à ma connaissance fait l’objet d’une expérience pour valider l’assertion suivante, il m’apparaît tout à fait évident que le Mind Mapping aide une catégorie très précise de la population : celle qui possède une mémoire eidétique. La mémoire eidétique, qui correspond à un concept très précis en psychologie cognitive, est faussement appelée « mémoire photographique », c’est-à-dire la capacité à « prendre une photographie mentale » de ce qu’on voit. Or si à la fin de la Primaire, de 5 à 15% des élèves conservent encore cette capacité, elle est largement perdue chez les adultes parce qu’il y a un recodage phonologique de l’image. On pense que cela est dû à l’instruction qui repose majoritairement sur les mots : on transmet essentiellement le savoir par les mots.

Egalement, il m’apparaît fondé de croire que les personnes qui ont une forte mémoire à court terme et mémoire de travail visuospatiales mais une mémoire à court terme et mémoire de travail verbale faibles gagneraient particulièrement à utiliser le Mind Map pour mémoriser, à condition d’utiliser essentiellement des images.

Enfin, les personnes qui ont une forte capacité d’imagerie mentale visuelle peuvent effectivement se souvenir de l’emplacement des données sur le Mind Map (le where) qui constitue ainsi un inducteur pour se souvenir de ce qu’il y avait à cet emplacement (le what), ce que j’ai constaté expérimentalement. En réalité, ce n’est ni plus moins que le principe des Loci de Simonide, en particulier la Maison Romaine.

 

 

4. Le Mind Mapping est efficace parce qu’il repose sur le cerveau gauche et le cerveau droit

C’est le cas de toutes les activités. On n’est pas plus cerveau gauche que cerveau droit, c’est un neuromythe. L’hémisphère gauche et l’hémisphère droit s’échangent les informations en permanence. La spécialisation hémisphérique résulte de l’Evolution : une espèce doit s’adapter à son environnement. La croissance de la démographie humaine a entraîné une complexité des échanges entre êtres humains : il fallait initialement se comprendre par le langage gestuel, puis oral (le langage articulé), pour coordonner la chasse aux animaux toujours plus grands pour nourrir une population toujours plus nombreuse. Le volume du cerveau ne pouvait augmenter indéfiniment parce qu’il fallait rationaliser l’énergie (une cellule consomme de l’énergie, apportée par la respiration et la nutrition), aussi s’est-il spécialisé : lobes, circonvolutions (gyri et sillons), hémisphères, etc. Seuls quelques individus peuvent être plus cerveau gauche ou cerveau droit s’ils ne sont pas correctement latéralisés, ce qui est détecté par les psychologues.

 

 

5. Le Mind Mapping permet de traiter les informations plus rapidement

C’est faux. C’est l’expertise, autrement dit l’apprentissage, qui permet de traiter les informations plus rapidement. Plus un joueur de tennis s’entraîne, plus il sera rapide, précis et puissant. Plus un professionnel exerce son métier, meilleur il sera. Plus un apprenant apprend, mieux et plus vite il apprendra. La plasticité synaptique s’applique à tous, indistinctement.

D’autre part, la vitesse du traitement des informations visuelles (mots, images) résulte d’abord de l’activité de l’œil : 3 saccades par seconde…pour tout le monde. L’angle de vision d’un œil est de 220°, mais la vision précise – l’acuité visuelle – que permet la fovéa (au centre de la rétine) n’est que de 2 à 4°. Ainsi ne peut-on pas lire d’un coup un mot de plus de 5 lettres. Pour plus d’informations, voir les différents manuels d’Alain Lieury.

Cependant, le lecteur expert (c’est-à-dire celui qui a appris à lire et pratique la lecture depuis un certain temps) ne lit pas le mot en entier ; il le reconstitue. Procédons à quelques expériences pour vérifier cela.

Expérience 1 : savez-vous lire le texte suivant (en français) ?

Sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dans un mtos n’a pas d’ipmrotncae,la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soit à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlblème. C’est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe mias le mot comme un tuot.

Expérience 2 : savez-vous lire le texte suivant (en anglais) ?

« Aoccdrnig to rscheearch at Cmabrigde Uinervtisy, it deosn’t mttaer in waht oredr the ltteers in a wrod are, the olny iprmoetnt tihng is taht the frist and lsat ltteer be at the rghit pclae. The rset can be a total mses and you can sitll raed it wouthit a porbelm. Tihs is bcuseae the huamn mnid deos not raed ervey lteter by istlef, but the wrod as a wlohe. »

Avant de continuer, précisons que jamais l’Université de Cambridge n’a réalisé une telle étude. Ensuite, cela ne peut fonctionner que pour les mots que l’on connaît parfaitement, qui sont gravés dans nos mémoires à long terme. Cela ne fonctionne pas avec les mots qui nous sont peu connus et/ou longs. D’autre part, dans les énoncés précédents, les lettres ne sont pas placées au hasard ; elles sont savamment ordonnées, contrairement à ce qui est écrit.

Réalisez les expériences suivantes (j’ai conservé la 1ère et la dernière lettre de chaque mot, comme indiqué plus haut) :

Expérience 3 : voici une première phrase que j’ai traduite de mon manuel en psychologie du sport pour la préparation cognitive des sportifs (Collectif : The sport psychologist’s handbook, a guide for sport specific performance enhancement, Wiley and Sons, 2006, p.449) :

Les ptnios cfles stviunas snot rmcémeodnas puor iercrpoonr l’grmiaeie mtaneele cmmeo itvernitenon.

La même phrase dans l’ordre : Les points clefs suivants sont recommandés pour incorporer l’imagerie mentale comme intervention.

Je suis persuadé que la plupart d’entre vous n’a pas lu l’énoncé précédent aussi rapidement que pour le texte « de Cambridge ». J’ai pourtant respecté la consigne : la 1ere et la dernière lettre sont à la bonne place.

Autre exemple, avec une phrase en anglais extraite de l’un de mes manuels en psychologie cognitive et neurosciences (Diane Pecher, Rolf A. Zwaan : Grounding Cognition, The role of perception and action in memory, language and thinking, Cambridge University Press, 2005, p.199) :

The aclutroiitan of a toehry of ppsrecevite is ctnarel to the thorey of eibemoid cgntoiion.

La même phrase à l’endroit : The articulation of a theory of perspective is central to the theory of embodied cognition.

Le lecteur expert (celui qui n’est plus dans la phase d’apprentissage mais qui a une certaine expérience de la lecture) ne lit plus l’ensemble des lettres d’un mot. Il sait inconsciemment que les lettres s’organisent selon des combinaisons probables qui sont statistiquement calculées par le cerveau. On pourra se reporter aux cours de Stanislas Dehaene sur le site du Collège de France pour approfondir cela.

6. Pour conclure

Même si un certain nombre de mythes entourent le Mind Map©, cet outil demeure intéressant dans l’exercice de nombreuses activités, comme je l’exposerai prochainement.

 

Note 1 : ce document est protégé par les droits d’auteur. Toute reproduction est interdite sans l’accord de son auteur.

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