Evocation : de l’éveil des sens à l’éveil au sens

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L’évocation est peut-être avec la notion de projet le plus grand apport de la Gestion Mentale aux autres disciplines. C’est très simple : beaucoup de conseils issus de la psychologie et des neurosciences reprennent sous une forme modernisée ce qu’avait déjà découvert Antoine de la Garanderie au sujet des évocations.

L’expérience prouve qu’un élève qui n’a pas appris a évoquer n’a aucune chance de dépasser la classe de 5è quand les élèves, étudiants et adultes qui maîtrisent parfaitement leurs évocations connaissent une réussite plus grande dans tout ce qu’ils font. Cela concerne les actes intellectuels, mais aussi manuels.

Avant de lire ce cours, je vous conseille de lire dans l’ordre :

 

Je conseille également de lire les cours sur l’approche des images mentales en psychologie.

 

 

Préambule

 

Nous accédons avant tout à la connaissance du monde et de soi par le biais de nos sens qui nous en offrent l’expérience la plus immédiate et la plus simple. Le bébé s’éveille d’abord au monde en réagissant à des stimuli auditifs, tactiles, gustatifs, kinesthésiques, somésthésiques, visuels ou olfactifs.

Mais les sens nous trahissent invariablement ; ils ne nous permettent pas d’accéder directement au Réel, de façon neutre et objective. Deux personnes qui regardent un même objet ne verront pas la même chose. Et plus notre cerveau se construit, plus le Réel nous échappe, parce qu’il devient une construction, fruit de multiples interprétations basées sur l’expérience ou la connaissance théorique. Un climatologue ne verra pas un éclair comme le profane.

Les sens se développent naturellement, mais on peut grandement aider ce processus par l’éducation. Cela concerne non seulement l’enfant et l’adolescent, mais aussi l’adulte.

N’allons surtout pas croire que le développement des sens joue un rôle mineur dans l’essor de la connaissance et de l’intelligence. Malheureusement, nous nourrissons trop de préjugés sur le sujet pour nous en apercevoir. On peut par exemple apprendre la diplomatie à Sciences-Po, mais aussi en touchant davantage les autres, parce que le tact nous éveille à autrui et nous fait entrer dans son univers. Qui est allé en Afrique ne soutiendra pas le contraire. Une tape amicale sur l’épaule peut aider considérablement lors de négociations ardues dans une fusion-acquisition, et faire gagner du temps et de l’argent.

La première règle du développement de l’intelligence est donc la suivante : on accède d’abord à la connaissance du monde par nos sens !

Le développement des sens entraîne celui de l’imagerie mentale. Pour Jean Piaget, l’enfant commence à construire des images mentales vers sa deuxième année. En réalité, elles sont trop pauvres pour un usage pédagogique sur les évocations.

Il faut par exemple que l’enfant atteigne 4-5 ans pour qu’il génère des évocations visuelles suffisamment précises pour l’aider à mieux apprendre. Dans l’immense majorité des cas, soit l’enfant découvre seul l’évocation par le processus de maturation du cerveau, soit il prélève dans son environnement des signes qui vont le conduire à évoquer. Par exemple des parents qui diraient « tu te souviens de ce qu’on a fait hier ? » ou « pense à ce que je t’ai dit » et qui déclencheraient une image mentale visuelle, auditive ou kinesthésique.

D’ailleurs, il se peut que l’enfant exprime la naissance de ses évocations par « j’ai des images dans ma tête », « il y a quelqu’un qui me parle » ou autre « je sens quelque chose dans ma tête ». Si l’enfant n’est pas tout seul dans sa tête, c’est donc normal et bienvenu : Il évoque.

 

 

Le développement des sens (informations issues de la psychologie et des neurosciences, non de la Gestion Mentale)

 

S’il existe un lien entre les images mentales et les sens (mais aussi le mouvement), encore faut-il savoir quand ces derniers se développent. En la matière, tout se joue (presque) avant 2 ans.

En effet, le cortex auditif connaît son pic de croissance du dernier trimestre de gestation à la première année de l’enfant (-3 mois à 12 mois). Je conseille d’ailleurs toute personne en relation avec un bébé à lui parler un langage riche, emprunt de tonalités et d’accents différents et à lui faire écouter des musiques et des sons variés. Les bébés sont des génies.

De la même façon, il faut soumettre son bébé à une large variété de stimulations visuelles (sans tomber dans l’excès) parce que la densité des synapses dans le système visuel connaît un pic vers le 10è mois. Le système visuel est très complexe avec ses 15 zones dédiées à la perception des mouvements, couleurs, teintes, profondeur, etc. C’est pourquoi V.S. Ramachandran, un neuroscientifique de l’université de San Diego en Californie, spécialiste de la vision, préconise d’éviter d’exposer son enfant à des écrans (télévision, ordinateur, console portable…) avant ses 4-5 ans. En effet, les écrans présentent des images en deux dimensions qui ne stimuleront pas toutes les zones du cerveau en même temps.

Enfin, le système vestibulaire, logé dans l’oreille interne, contrôle le sens du mouvement et l’équilibre. Il participe au développement sensori-moteur. Il faut donc inviter l’enfant à se mouvoir, mais aussi à tenir des objets pour qu’il ait une approche de son corps, de son environnement, de la masse, etc.

Les crèches constituent sans aucun doute le lieu idéal pour aider les bébés et les enfants les plus jeunes à développer leurs sens, et préparer au mieux le développement des images mentales.

 

 

Définition de l’évocation

 

L’évocation est la représentation mentale d’un objet perceptif en son absence. Elle constitue la base du geste d’attention et participe pleinement à la réussite des autres gestes mentaux (mémorisation, compréhension, réflexion, imagination créatrice). L’évocation repose sur des images mentales.

Les processus mentaux suivent donc le chemin suivant : perception -> évocation -> traitement.

On dresse le profil pédagogique d’une personne (dont les langages pédagogiques verbal-auditif, visuel et tactile-kinesthésique) à partir de ses évocations, non de ses perceptions. Or, la majorité des questionnaires publiés (journaux, Internet) sont relatifs à la perception, non à l’évocation, et ne permettent donc pas de connaître son profil. D’ailleurs nous sommes presque tous à la fois « auditif », « visuel » ou « kinesthésique », mais nous nous différencions dans l’étendue, la rapidité et la précision des images mentales.

 

 

De la perception à l’évocation

 

Un objet de perception peut générer différentes sortes d’images mentales. Voici quelques exemples de situations qui permettent de distinguer la perception de l’évocation :

Je suis en présence d’une statue, objet de perception. Je peux la regarder (objet de perception visuelle non verbale), me la décrire (objet de perception visuelle verbale) ou encore la toucher (objet de perception tactile non verbale). Je suis alors en phase de codage de la statue, je la fais exister dans mon univers mental.

Lorsque je ne suis plus en présence de la statue, je peux prolonger son existence dans mon conscient. Je suis alors en phase d’évocation.

Je peux générer dans ma tête une évocation visuelle de la statue :

  • si je l’ai vue (perception visuelle non verbale) ;
  • si j’ai lu une description à son sujet (perception visuelle verbale) ;
  • si j’ai associé un son à la statue (perception auditive non verbale) ;
  • si on m’a décrit oralement la statue (perception auditive verbale) ;
  • si j’ai touché la statue (perception tactile non verbale).

Je peux générer dans ma tête une évocation somesthésique, kinesthésique ou tactile de la statue (impression de toucher, chaleur, douleur, bien-être…) :

  • si je l’ai vue (perception visuelle non verbale) ;
  • si j’ai lu une description (perception visuelle verbale) ;
  • si j’ai associé un son à la statue (perception auditive non verbale) ;
  • si on m’a décrit oralement la statue (perception auditive verbale) ;
  • si j’ai touché la statue (perception tactile non verbale).

La liste des situations n’est pas exhaustive, l’important est de savoir que différentes combinaisons perception-évocation sont possibles.

D’autre part, la Gestion Mentale théorisée par Antoine de la Garanderie est confuse sur l’évocation auditive/verbale et sur quelques autres points. J’ai donc préféré recourir à l’apport de la psychologie, des neurosciences et de la neuropédagogie, comme expliqué dans la section sur les images mentales du présent site.

 

• Evocation à la 1ere ou à la 3è personne

Une évocation visuelle est à la 1ère personne lorsqu’on est présent (on se voit) dans la scène évoquée. Elle est à la 3è personne lorsqu’on est absent (on ne se voit pas) dans la scène évoquée.

Lorsqu’on chante une chanson dans sa tête, il s’agit d’une évocation :

  • à la 1ère personne si on la fredonne avec sa propre voix ;
  • à la 3è personne si on reconstitue ou invente la voix d’autrui

Les conséquences pédagogiques de cette distinction sont les suivantes :

Lorsqu’on évoque à la 1ère personne, on risque (ce n’est donc pas automatique) de se croire capable d’accomplir une action. En effet, on est centré sur l’évocation de soi. On peut alors agir sans réfléchir et se précipiter. On est alors l’objet d’une émotion précipitante. D’autre part, c’est en analysant ses forces que l’on peut prendre conscience de ses faiblesses.

Lorsqu’on évoque à la 3è personne, on risque (ce n’est donc pas automatique) de se croire incapable d’accomplir une action. En effet, on est centré sur l’évocation de l’environnement, des obstacles. On peut alors être comme tétanisé par l’action. On est alors l’objet d’une émotion paralysante. D’autre part, c’est en analysant ses faiblesses ou celles d’autrui qu’on peut prendre conscience de ses forces.

 

 

L’absence d’évocation

 

Certaines personnes, quand elles perçoivent le monde réel, ne sauraient gérer l’émotion qu’entraînerait l’évocation. Elles ont le projet d’éviter d’évoquer, et se réfugient donc dans l’action. On dit qu’elles sont en proie à une émotion précipitante. Attention cependant à ne pas confondre l’émotion précipitante avec les troubles de l’attention comme « l’hyperactivité » (ADD : Attention Deficit Disorder) qui n’ont rien à voir avec l’évocation.

Pour d’autres personnes, la perception du monde réel entraînerait une réaction émotionnelle qui empêcherait de le coder dans leur univers mental. Elles se trouvent comme paralysées. On dit qu’elles sont en proie à une émotion paralysante.

Dans un cas comme dans l’autre, l’absence d’évocation est une fuite.

Grâce à un dialogue, essayez de savoir pourquoi ces personnes ont le projet de fuir l’évocation. Pour cela, il faut les faire parler de l’émotion qui les gouverne.

D’ailleurs, je conseille de recourir à un praticien en Gestion Mentale si un enfant qui entre en CP n’évoque pas.

On peut cependant tout à fait s’inspirer des techniques éricksoniennes (du psychologue et psychiatre Milton Erickson) de reformulation. Le principe est de reprendre en écho ce que l’interviewé à dit (par la reprise du verbe) dans une question ouverte.

Supposons qu’à la question « Et quand ta maîtresse te demande de raconter une histoire, qu’est-ce que tu fais ? » l’enfant réponde : « je prends mon stylo ». Il ne faut donc pas demander à cet enfant pourquoi il prend son stylo, mais lui donner un stylo à manipuler et demander :

  • « quand tu prends ton stylo, comme maintenant, qu’est-ce qui se passe dans ta tête ».

Grâce à un dialogue pédagogique non invasif bien mené, l’enfant va prendre conscience qu’il est capable de connaître et maîtriser des images mentales visuelles, verbales ou kinesthésiques.

Dans ses ouvrages, Antoine de la Garanderie préconise de demander pourquoi l’accès à la connaissance provoque une telle émotion (paralysante ou précipitante).

Je pense au contraire (je n’ai rien inventé en la matière, je reprends uniquement l’approche en psychologie) qu’il ne faut jamais poser la question « pourquoi » ou « dans quel but ». C’est à l’intervieweur de trouver les liens de causalité qui découlent des paroles de l’interviewé. Autrement ce dernier pourrait nourrir de la culpabilité, et le conduirait à ne pas dire la vérité, mais à chercher à complaire à son interlocuteur.

 

 

Enseigner à évoquer aux bébés et très jeunes enfants

 

Accéder aux désirs des bébés et des jeunes enfants au moment où ils réclament quelque chose est préjudiciable au développement de leur intelligence. On les enferme en effet dans le couple désir-satisfaction : « je réclame et j’ai ». On en fait des êtres d’instinct, de présent. Le sens du monde se réduit à ce qu’ils possèdent. Ils s’enferment dans le concret. On les empêche d’évoquer (faire exister le monde dans leur tête) puisqu’on en fait des êtres de perception : « je perçois ce qui est loin de moi, puis je perçois ce que j’ai en main ». Entre les deux, il n’existe rien, il n’y a pas de transformation.

Il faut que le monde puisse exister dans la tête des bébés et des jeunes enfants. Pour cela, il faut leur en laisser le temps, c’est-à-dire ne pas céder immédiatement à leurs requêtes. Ils doivent éprouver le manque dans leur tête afin de pouvoir faire exister l’objet manquant, le désir inassouvi. Ainsi pourront-ils s’éveiller au sens du monde, non plus seulement au sens de l’objet réclamé, du désir aussitôt assouvi. En procédant de la sorte, on leur enseigne également la capacité à se projeter dans le futur ou dans le passé, à établir des relations logiques : « je veux quelque chose, je ne l’ai pas tout de suite. Pourquoi ? Comment puis-je faire pour me procurer par moi-même ce que je n’ai pas eu par une force extérieure lorsque j’en manifestais le désir ? »

Ne pas accéder à l’ensemble des désirs immédiats des enfants est l’une des meilleures façons d’éveiller leur intelligence, ce que l’on retrouve aussi en psychologie avec la gestion de l’inhibition.

 

Note: ce document est protégé par les droits d’auteur, mais un lien vers l’article est bienvenu.

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