Les formations du futur ?

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A l’heure des transformations du numérique, et plus largement des nouvelles technologies ; à l’heure de la formation tout au long de la vie qui implique de former des « Self Directed Learners », donc, des apprenants autonomes et largement autodidactes, il peut être utile d’entrevoir d’autres modèles de formation, non algorithmiques, non linéaires. L’école 42 me semble en être un exemple.

 

Tout ce qui peut être confié à une IA, sera confié à une IA

A mon avis, tout ce qui est de l’ordre de l’algorithme sera transféré aux IA. Ainsi, un client entre dans une agence bancaire et demande un prêt-relais à un employé qui n’a pas l’habitude d’en faire, malgré une formation succincte (apprendre demande beaucoup de temps, nous sommes d’accord). Le smartphone, la tablette ou l’ordinateur écoutera le client et donnera à l’employé en temps réel toutes les informations nécessaires.

Énormément de tâches sont algorithmiques, elles sont transformées dans le cerveau sous forme de scripts ou schémas comportementaux, que l’on peut appeler aussi « connaissances procédurales ».

Aujourd’hui, il existe des systèmes d’aide au stationnement, on peut faire un site web simple sans connaître l’html et le css, les médecins ont des outils d’aide au diagnostic, etc.

 

 

Un monde toujours plus complexe

Le monde d’aujourd’hui est infiniment plus complexe et plus exigeant qu’il y a 10 ou 15 ans, les nouvelles technologies sont là pour le simplifier. Mais paradoxalement, elles le complexifient aussi.

Voyez comment l’interaction avec les pages web a été rendue simple, alors qu’elles sont plus complexes. On n’a plus besoin de se former à l’interaction avec les pages web, c’est l’organisation de l’environnement « intuitif » qui prend en charge cette formation.

Voyez comme les moteurs de recherche sont performants. On n’a plus besoin de se former aux opérations booléennes. On peut être un utilisateur lambda et utiliser correctement un moteur de recherche sans formation.

 

 

L’environnement toujours plus organisé joue un rôle fondamental

Notre environnement (qui est aussi composé de personnes) est tellement organisé que nous naviguons essentiellement en mode automatique et commettons de nombreuses erreurs qui n’ont la plupart du temps pas de grandes conséquences, justement parce que cet environnement est organisé. C’est une petite perturbation dans le système qui a une faculté à s’autoréparer, l’homéostasie.

La complexité du monde est due aux interactions (entre personnes, entre cultures, entre technologies…) plus nombreuses et plus rapides. Ce qui entraîne des transformations plus nombreuses et plus rapides.

Pour certaines tâches, l’humain a une capacité d’adaptation plus rapide et moins onéreuse qu’une IA. Pas pour d’autres.

 

 

La performance (savoir faire) ne donne pas le sens

Savoir utiliser une calculatrice, un système d’aide au stationnement ou un GPS ou savoir l’ordre des opérations dans une équation ne donnent pas le sens de ce qu’on fait.

Je peux vous donner des manières différentes de multiplier, et je suis certain que l’immense majorité d’entre vous ne saura pas expliquer pourquoi ou comment ça fonctionne. Et pourtant, vous savez multiplier…de la manière dont vous avez appris. Vous êtes contexte-dépendant.
L’entraînement délibératif jusqu’à ne plus faire d’erreurs a ses limites.

 

 

Ce qui donne le sens, ce sont les réflexions que l’on porte et la théorie

De nombreuses expériences (avec groupe de contrôle et groupe expérimental) ont été réalisées. Pendant que le groupe de contrôle continuait à s’entraîner, le groupe expérimental recevait une formation théorique. Lorsque l’évaluation portait sur des tâches apprises par les 2 groupes, le groupe de contrôle (qui continuait l’entraînement délibératif) performait légèrement mieux. Quand on a modifié la tâche, le groupe expérimental performait bien mieux. Le groupe de contrôle était trop prisonnier du contexte.

Ce qui donne le sens et permet de s’adapter à des environnements changeants, c’est la maîtrise de la théorie et les réflexions que l’on porte sur les pratiques, en décontextualisant, en les rapprochant d’autres pratiques. Et la maîtrise de la théorie conduit à la créativité, parce que des réflexions ont été portées sur les pratiques. La créativité est de l’ordre de la résolution de problèmes et du transfert (utiliser ce qu’on a appris dans un contexte pour résoudre un problème dans un contexte différent).

Je vous invite vivement à lire ce document de deux experts en expertise, Hatano et Inagaki, avant de poursuivre non seulement par la lecture d’ouvrages de K. Anders Ericsson et collègues, mais aussi du modèle d’acquisition des compétences des frères Dreyfus.

Vous saurez ainsi comment se construit l’expertise, et sur quels critères on évalue un/e expert/e

https://eprints.lib.hokudai.ac.jp/dspace/bitstream/2115/25206/1/6_P27-36.pdf

 

 

Les collaborateurs/trices, de simples utilisateurs/trices de solutions pensées ailleurs ?

Comme de nombreuses formations vont disparaître, parce que de nombreuses tâches seront prises en charge par l’IA et par un environnement de plus en plus organisé avec une capacité d’auto-réparation, les collaborateurs/trices deviendront de simples utilisateurs/trices de logiciels, de procédures, bref, de normes.

Si les collaborateurs/trices sont formé/es à des tâches et procédures sans en avoir le sens, qui ne peut être apporté que par des réflexions sur lesdites tâches et procédures, ils/elles pourraient développer un certain malaise, une perte de repères, une crise du sens de leur travail.

 

 

Le sens est issu de relations et des réflexions qu’on porte sur les relations

Le sens de toute chose est donné par les relations avec les éléments d’un système avec lequel elle communique.

La couleur bleue n’a de sens que parce qu’il existe d’autres couleurs. Aurait-on même inventé le mot « bleu » s’il n’y avait pas d’autres couleurs ? Je n’ai de sens que parce que je suis en relation avec vous.

Quelle est ma place à moi l’individu, dans le système ?

Au début de la guerre froide, les agents du renseignement américain apprenaient des mots de russe par des moyens mnémotechniques. Ils étaient capables de repérer ces mots sans pour autant comprendre les phrases. Le tout (le système ; ici, comprendre une langue) est en effet plus grand que la somme des parties (les éléments du système ; ici, le vocabulaire, même aligné dans un ordre grammaticalement correct).

 

 

On évalue ce qui est le plus facile à évaluer : les connaissances factuelles et procédurales

Ce qui est le plus facile à apprendre, et le plus facile à évaluer, donc le moins couteux en temps et en argent, ce sont les connaissances factuelles et procédurales. Celles qui conduisent à la performance en milieu contrôlé. Voilà pourquoi l’accent est porté sur elles.

Les connaissances factuelles (Paris est la capitale de la France) et procédurales (pour réserver son billet de train pour Paris, on peut d’abord se rendre sur voyages-sncf, puis remplir le formulaire, ensuite utiliser un moyen de paiement, enfin recevoir son billet) peuvent s’acquérir par une pédagogie transmissive, behavioriste : le cours magistral, la direct instruction, l’enseignement explicite. Elles peuvent naturellement se construire par d’autres pédagogies, mais le plus efficace (en terme de bits/temps) c’est l’enseignement descendant.

Comme les connaissances factuelles et procédurales sont taggées en mémoire, on peut les renforcer par un entraînement délibératif afin de les consolider. Comme je l’ai déjà écrit, on peut les évaluer facilement et pour un coût réduit. Ce sont donc essentiellement les connaissances factuelles et procédurales qui sont évaluées.

 

 

Ce qui pose problème, ce sont les connaissances conceptuelles

Les connaissances conceptuelles sont formées de connaissances factuelles et procédurales qui ont des relations diverses (inclusion/exclusion, causes-conséquences…) au sein d’un système.

On peut aussi utiliser les pédagogies behavioristes, mais au prix d’un temps considérable pour un bénéfice assez réduit. C’est vrai pour l’enfant comme pour l’adulte. De nombreuses expériences (je parle bien d’expériences, pas de quelque chose d’abstrait) le prouvent.

 

 

La construction des connaissances conceptuelles

Les connaissances conceptuelles doivent donc se construire par des pédagogies (socio)constructivistes, où l’environnement (le/la prof, les autres apprenant/es, ce qu’il y a à apprendre) va suggérer, non pas exposer. Même s’il existe toujours différentes façons d’apprendre et d’enseigner.

Les connaissances conceptuelles s’associent aux connaissances factuelles et procédurales pour former des schémas mentaux et modèles mentaux.

A partir des mêmes informations, chaque apprenant/e va se construire seul/e et de manière individualisée ses schémas et modèles mentaux.

 

 

On n’évalue pas une connaissance conceptuelle

Comme les connaissances conceptuelles ne sont pas taggées en mémoire, mais qu’elles résultent intégralement d’une construction intime et personnelle, on ne peut pas les évaluer. Ce qu’on évalue, c’est la capacité des apprenants à transformer les connaissances conceptuelles en informations transmissibles via le prélèvement d’indices de récupération dans les consignes. Quand dans un concept, l’apprenant sait 1000, on ne va évaluer qu’1 ou 10. Autrement dit, un concept est une forêt mouvante, mais on va évaluer un arbre statique.

 

 

La connaissance conceptuelle est dynamique, elle se transforme sans arrêt à mesure qu’on connaît

La connaissance conceptuelle est en effet dynamique. Elle se transforme en permanence par l’ajout de connaissances factuelles et procédurales, par l’enrichissement de relations diverses entre elles, par les relations avec d’autres connaissances conceptuelles.

Lorsque l’enfant met un manteau pour se protéger du froid, il pense que le manteau est un radiateur qui va le protéger du froid. Et il est prêt à multiplier les couches de manteaux et pulls ce qui va, croit-il, augmenter la température. Jamais il n’irait penser que le manteau va le protéger du froid en conservant la chaleur de son corps. C’est contre-intuitif.

Ce qui est vrai avec le manteau et l’enfant est aussi vrai pour les adultes avec de nombreux concepts.

Et ça ne sert à rien d’exposer à l’enfant ou de lui dire que le manteau n’est pas un radiateur.

On doit enseigner indirectement les relations entre le manteau, l’enfant, la chaleur afin que se produise le fameux « eurêka ». Si on enseigne cela directement, il peut performer aux examens parce que sa mémoire aura enregistré les mots pour dire le concept. Mais il ne maîtrisera pas le concept.

Performer (savoir faire, avoir des compétences) n’est pas comprendre.

Peut-être que vous, adulte, n’avez pas pensé à ce problème, à savoir qu’un manteau n’est pas un radiateur, il ne crée pas de chaleur. Mais je peux vous l’enseigner directement parce que vous êtes adulte, parce que vous avez eu quelques cours en sciences, parce que j’ai utilisé le mot « radiateur » qui évoque des souvenirs précis, parce que vous avez réfléchi au sujet, parce que vous avez échangé sur le sujet avec autrui, etc. Bref, vous avez du recul, des connaissances préalables qui vous permettent de comprendre cela facilement.

 

 

L’apprenant n’a pas de recul pour comprendre ce qu’il apprend. Il lui faut du temps.

Mais l’enfant apprenant, au moment où il apprend, n’a pas ce recul. C’est comme s’il se voyait au centre d’un cercle sans voir les éléments qui composent ce cercle. Donc, on ne peut pas lui enseigner cela directement. Il faut lui enseigner les relations. Et de ces relations il va déterminer lui-même le sens.

Et lorsque nous adultes, apprenons des choses d’adultes, il se produit le même phénomène. Et même si nous performons aux examens, même si nous performons dans la vie professionnelle. Il suffit que des paramètres dans notre environnement changent, qu’ils demandent de la créativité, de faire autrement, de penser autrement, pour que nous éprouvions nos limites.

 

 

Un exemple de construction de connaissances sans transmission directe d’informations

Faisons une petite expérience sur le raisonnement abductif qui selon son découvreur Charles Sanders Peirce est l’un des seuls moyens de construire ses connaissances de manière autonome, donc d’être un self directed learner. Le raisonnement abductif est au passage l’un des piliers du machine learning. Pour les besoins de vulgarisation, je simplifie au maximum.

Si 0 et une assiette dans I0I, que sont I ?
Si 0 est un enfant que sont I dans I0I ?

Voilà, je n’ai pas eu besoin de vous dire que I sont des couverts ou des parents ou ce qui a trait à ces éléments. Pas de pédagogie transmissive, descendante.

Pour apprendre au quotidien, nous reposons beaucoup sur le raisonnement abductif (et l’apprentissage bayésien). Et comme le raisonnement abductif, contrairement au raisonnement déductif, ne conduit pas à un résultat exact, il arrive que nous nous trompions, et nous construisons ainsi des préconceptions, autrement dit des conceptions erronées, autrement dit, des concepts faux.

Encore une fois, comme on évolue dans un environnement (l’environnement inclut les personnes, je le rappelle) ultra-organisé, on ne voit pas les erreurs que nous commettons. Il suffit qu’il y ait de l’inédit pour s’apercevoir que ce que l’on croyait faire correctement n’est correct que dans un environnement précis.

C’est comme si nous circulions sur une route parfaitement balisée, et nous performons correctement. Puis vient un croisement, ou tout d’un coup il faut rouler à gauche, et nous avons à réfléchir, à choisir.

 

 

S’adapter à l’inédit et être créatif demande de la pratique mais aussi de solides fondations théoriques

Les personnes qui auront réfléchi aux pratiques, qui auront le sens de ce qu’ils ont appris, qui auront appris la même chose de différentes façons, qui maîtriseront la théorie, pourront s’adapter plus facilement à des contextes changeants.

Or, je pense qu’il faut s’attendre à de nombreux changements. En cela, je peux bien sûr me tromper.

 

 

Un besoin urgent de bons généralistes ?

Les systèmes de formation (initiale et continue) forment des spécialistes, mais ce qui manque cruellement aux organisations, ce sont de bons généralistes, capables de penser heuristiquement, holistiquement, systémiquement.

La division des sciences et des tâches, la pensée analytique ont permis de grandes avancées. Mais le monde est aujourd’hui beaucoup trop complexe, beaucoup trop riche en informations qui sont en relation dans des systèmes, pour continuer à penser et agir uniquement (l’adverbe est important ici) de manière linéaire et analytique, pour former et se former de manière linéaire et industrielle.

 

Note: cet article est protégé par les droits d’auteur. Toute reproduction, sous quelque forme que ce soit, est interdite. Il demeurera gratuit à lire, et sans publicité. Un lien vers l’article est en revanche le bienvenu.

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